∞ j'ai dix ans.

Si tu m'crois pas hé t'ar ta gueule à la récré

   

23 mars 1994 ♦

Soupir. Je pousse un long et ennuyeux soupir. Qu’est-ce que je m’ennuie. Je suis assise sur une chaise juste devant le bureau du directeur de l’école. « Reste ici, ne bouge pas. » Qu’il m’a dit. Et ensuite il s’est tourné vers madame Pascaline, la grosse madame qui travaille pour lui, qui répond au téléphone, qui agrafe les papiers et qui sent la menthe chocolatée. « Surveillez-la, elle a interdiction de bouger ! Et quand je dis interdiction de bouger, j’entends interdiction formelle de bouger ne serait-ce que le petit doigt. » Je ne suis pas une statue et mon meilleur ami ne s’appelle pas Quasimodo non plus. Je repousse un soupir encore plus poussé. Ça fait déjà vingt minutes que je suis assise mais ça me semble une éternité. Je soupire encore, plus longuement, plus fort. « Peux-tu arrêter ça, je t’en prie ? » Me demande madame Pascaline. Je la regarde fixement comme si je la découvrais. Puis je souris, j’hoche la tête. « Oui bien sûr. » Elle me sourit à son tour, puis elle continue de tapoter sur son clavier. Je soupire encore en soufflant nettement plus fort, plus longtemps, tout en la fixant de mes yeux. Elle pose ses mains à plat sur son bureau en se pinçant les lèvres. « Assez, ça suffit ! » « Mais je n’ai rien fait. » « Tu souffles ! » « Ah bah je n’ai plus le droit de respirer maintenant ? Déjà que je ne dois pas bouger si en plus je ne dois plus respirer. » Elle se passe une main sur le front. Madame Pascaline c’est une grosse dame bouffie qui a un nez comme ceux des cochons, des cheveux longs mal coupés qu’elle attache en chignon, qui porte toujours des jupes tailleurs trop serrés pour elle et d’une couleur rose pâle. Et quand elle commence à stresser, elle transpire. C’est pour ça qu’elle se passe beaucoup la main sur son front. Parce qu’elle stresse très facilement. Même le directeur lui fait peur. « Arrête ça ou j’appelle ta maman ! » J’hausse des épaules. « Faut pas s’embêter avec ça, m’sieur Bob l’a déjà fait. » Elle fronce des sourcils. Qu’est-ce que j’ai dit encore ? Je n’y peux rien moi si Bob c’est vraiment le nom du directeur ! En plus il a une tête toute ronde en forme de ballon, on a envie de taper dedans en hurlant « BOOOOOOOOOB ! ». Le pauvre directeur, ses parents devaient le détester… il s’appelle Robert Bob. Mais moi je n’y peux rien. Elle se lève de sa chaise, s’avance vers moi en levant l’index, elle a la bouche ouverte et est prête à me dire quelque chose… sauf que la porte s’ouvre. « Bonjour je suis la maman de… Sage. » Maman vient d’entrer dans la pièce et me fixe avec des yeux ronds. « Qu’as-tu fait encore ? » « Moi ? » Je lève les mains. « Rien du tout. » Elle m’attrape par la manche de mon tee-shirt. « Pourquoi ton directeur m’a convoqué ? C’est pour quoi cette fois ? » « Cette fois, comme si ça arrivait si souvent… » Je lève les yeux en suivant le vol maladroit d’une mouche qui s’est perdue dans la pièce. « C’est la quatrième fois en deux mois ! » Je la regarde avec un air innocent. « Vraiment je ne comprends pas… » Elle me lâche en soupirant encore plus fort que moi. Je vois la grosse Pascaline qui crispe des dents. Et alors qu’elle allait toquer à la porte de monsieur Bob, celui-ci sort de son bureau. « Ah madame Haddock ! » Il lui sert la main avec force. Puis il se tourne vers la grosse Pascaline. « Paulette, pourquoi ne m’avez-vous pas prévenu de son arrivée ? » Sans attendre de réponse, il nous demande de le suivre dans son bureau. En passant devant la grosse Pascaline, je lui montre mon index que je secoue d’un air indigné. Oui pourquoi ne l’as-tu pas prévenu ? Elle n’a pas le temps de réagir que la porte se ferme derrière moi.

« Madame Haddock, je suis vraiment navré de vous déranger ainsi en pleine journée et de vous faire venir à l’improviste sans même pouvoir fixer une date d’entrevue à l’avance… » On est tous assis. Monsieur Bob à son bureau, nous de l’autre côté. Je regarde par la fenêtre pendant qu’il discute. « Venez-en aux faits, qu’a-t-elle encore fait ? » Le coupe maman. Il me regarde, marque une pause. « Elle a démarré une bagarre. » Maman jette sur moi un regard mauvais. « Avec qui s’est-elle battue ? Faut-il que j’appelle les parents pour qu’elle s’excuse ? L’enfant n’est pas blessé au moins ? » Que de questions, n’oublie pas de respirer maman. Le Bob secoue ses mains devant lui. « Non, non, vous n’y êtes pas. Elle ne s’est pas battue. » Maman affiche une mine perdue. Elle se laisse tomber en arrière dans sa chaise en me regardant, puis en regardant le directeur. « Je ne comprends pas. Pourquoi m’avez-vous appelé dans ce cas ? » Ouais pourquoi ? Tu déconnes Bob ! « Votre fille ne s’est pas battue, elle a démarré une bagarre. » Je regarde maman qui me regarde avec insistance. Je secoue la tête tout en gardant ce visage d’innocence. « Je n’ai rien fait. » « Que je vous explique. » « Oui j’apprécierai assez. » Maman peut être froide quand elle s’y met. Le directeur semble même surpris. Mais il se racle la gorge et commence à lui raconter les faits – qui sont faux bien entendu. « Sage a délibérément monter deux de ses camarades l’un contre l’autre, les poussant ainsi à se battre. » Je lève les yeux au ciel. Je n’ai rien fait, je suis juste arrivée au moment où Dave mettait une claque à Mike. Est-ce ma faute si j’étais au mauvais endroit au mauvais moment ? « Et comme si cela ne suffisait pas, elle les a encouragé à continuer, leur indiquant même où taper. Elle a réuni les autres enfants pour qu’ils s’attroupent autour de ces deux là, et a commencé à commenter le match en les affublant de noms ridicules. » Ils me regardent tous les deux pendant que je souris en me rappelant de ça. « Ils veulent devenir catcheur, j’ai simplement été la journaliste. » Celle qui commente quoi. « Quels sont ces noms ? » Demande maman, je ne sais pas très bien à qui elle pose la question. Mais étant donné que le directeur me fixe de ses yeux de chouette en attendant une réponse, j’hausse des épaules. « FatDave contre Spocky. » Maman se passe une main sur les yeux en soupirant. Quoi ? Après tout Dave est gros donc ça lui allait bien, et Mike est coiffé comme Spock de Star Trek. C’est la vérité ! « Je ne sais pas quoi dire… » « Ce n’est pas tout. » Maman me regarde en ouvrant grand les yeux. Je t’assure, il ment ! « Comme si cela ne suffisait déjà pas, elle a entrepris de lancer des paris sur qui gagnera le combat. Elle a fait payé ses camarades avec ce qu’ils avaient : argent pour certains, bonbons pour d’autres, quelques uns avaient des jouets, et les derniers lui ont donné des vêtements comme des écharpes, des manteaux, des bonnets, des gants… » « Y en a une elle a carrément voulu me refiler sa culotte ! En plus elle avait fait caca dedans ! Non mais l’autre quoi, elle a cru qu’on avait élevé les cochons ensembles ? Non, non, non ! » Ils me dévisagent fixement. « Malheureusement suite à cela je ne vois qu’une solution : je ne peux garder une telle élève dans l’enceinte de l’établissement. Elle a un comportement bien trop nuisible sur les autres élèves. Et pour être honnête, je doute que d’autres écoles voudront d’elle après cette histoire. Vous comprenez que je suis obligé de le marquer dans son dossier… » J’ai décroché après ça. J’ai entendu maman lui dire qu’elle comprenait. Moi je regardais des gamins qui jouaient dehors au ballon. J’aimerai bien aller jouer au ballon. En plus il fait beau dehors.

Quand on remontées dans la voiture après ça, maman a longuement gardé le silence sans même me regarder. Et puis finalement, juste avant d’arriver à la maison elle s’est tournée vers moi. « Je suis vraiment déçue Sage. » « Moi aussi, j’avais quand même gagné neuf dollars et j’ai dû tout rendre. » CLAC ! Je pose ma main sur ma joue en feu. Je ne m’y attendais pas à celle là… Maman vient de me mettre une claque. J’ai mal… et surtout, je me sens blessée. « Tu m’énerves, ça suffit ! Arrête ! Tu viens de te faire virer de ton école et tu trouves encore le moyen de jouer l’insolente ! Dorénavant tu resteras à la maison, tu feras l’école ici, tu ne sortiras plus, tu peux faire une croix sur tes amis ! Mais vu ton caractère je doute que tu ais beaucoup d’amis. Tu es punie Sage ! Et pas pour quelques jours, mais pour le reste de l’année ! Voire même plus que ça !! » Je me pince les lèvres, je ne la regarde pas. Je sens que mes lèvres tremblent, j’ai envie de pleurer. Elle ne m’avait jamais frappé… « Maintenant va dans ta chambre, je ne veux plus te voir de la soirée ! » Je ne me suis pas fait prier. J’ai couru jusqu’à ma chambre, je me suis jetée dans mon lit sous ma couette et je n’ai plus bougé. Je ne suis même pas sortie pour lui demander à manger. J’ai pleuré toute la soirée, et puis je me suis endormie.

∞ j'ai seize ans.

I don't give a damn about my reputation

6 janvier 2000 ♦

Je sursaute quand maman attrape mon casque qui est posé sur mes oreilles et le retire violemment. « Mais t’es folle qu’est-ce que tu fais ?! » « Ça fait dix fois que je t’appelle ! » Je lui reprends mon casque des mains sans même la regarder. « Qu’est-ce que c’est que ça ? » Dit-elle en secouant une enveloppe devant mon visage. « Visiblement c’est du courrier. » « Ne prends pas ce ton avec moi ! » Je roule des yeux. Quel ton ? Je ne fais que répondre à sa question. En passant, c’est une question absurde. Tout le monde verrait que c’est du courrier. Si elle n’est même pas capable de voir ça, je ne peux rien pour elle. « Pourquoi as-tu reçu un formulaire d’émancipation ? » Là je la regarde en ouvrant grand la bouche. Je balance mon baladeur sur mon lit et lui arrache la lettre des mains. « Tu ouvres mon courrier maintenant ? Ça ne te suffit pas de me retenir prisonnière ici, il faut en plus que tu me retires mon intimité ! C’est ma vie privé ça ! T’as pas le droit d’ouvrir le courrier des autres ! » Elle essaye de me reprendre ma lettre, mais j’ai été plus rapide, je me suis glissée hors de mon lit et je tiens mon bras très haut pour qu’elle ne l’attrape pas. Le problème c’est qu’on fait exactement la même taille et que j’ai beau levé le bras quand elle lève le sien elle peut attraper ce que je tiens. Et voilà qu’elle essaye de me reprendre ma lettre ! MA lettre ! C’est la mienne ! Pas la sienne ! Y a mon nom d’écrit dessus ! Je le vois, là, en toutes lettres : Sage Haddock. C’est moi ça ! Pas elle ! Y a pas écrit Maureen Haddock ! Y a écrit Sage ! SAGE ! « Je te la donnerai pas, tu peux rêver ! » Elle m’attrape le bras pour le descendre à sa hauteur, je me retourne, me cambre, me penche en avant, je glisse la lettre entre mes jambes. « C’est à moooiiii !! » « Donne-moi ça !!! » « Noooon !! » Je me rejette en arrière alors qu’elle m’empoigne par les bras, puis je recule violemment jusqu’à ce que je la sente alors partir en arrière et m’emmener dans sa chute. Elle s’écrase sur mon lit, et moi sur elle. « FOUS-MOI LA PAIX !!! » Je m’arrache à ses mains – ma lettre bien précieusement tenue contre ma poitrine – et lui désigne la porte. « C’est MA chambre ! MA lettre ! MON intimité ! MA VIE ! » « Je suis ta mère ! » « Ouais, plus pour longtemps ! » Elle me regarde droit dans les yeux. « Tant que tu vivras sous mon toit et jusqu’à ta majorité tu devras faire tout ce/ » « Pourquoi tu crois que j’demande à être émancipée ? J’en peux plus de vivre sous ton toit ! Ou avec toi ! Je vais me barrer d’ici et ma vie sera tellement mieux ! » Elle fait un pas en avant, j’en fais un en arrière. « Je ne te laisserai pas faire, je m’y opposerai, le juge sera de mon côté. » Je me redresse en gardant au possible mon calme. « Je trouverai des preuves de ta maltraitance envers moi. Tu ne me garderas pas prisonnière toute ma vie. Je compte bien m’échapper. Ton règne de tyran est terminé, vieille sorcière ! » Elle serre les dents et les poings mais n’ajoute rien de plus. Elle fait demi-tour et sort de ma chambre. Je claque la porte derrière elle. Je peux concevoir que le "vieille sorcière" n’était pas nécessaire… mais elle le mérite amplement.

« Monsieur le juge. » Je me lève alors qu’il entre dans son bureau. Pour un cas comme le mien – c'est-à-dire une jeune fille de seize ans qui demande l’émancipation – pas besoin de passer dans la salle avec les tribunes et d’être assistée par des curieux qui viennent entendre le verdict. Nous avons rendez-vous avec lui dans son bureau. Je dis nous car malheureusement ma mère est conviée aussi. « Bonjour madame Haddock, mademoiselle Haddock. » Il nous salue, nous invite à nous rassoir et s’assoit lui-même à sa place. « Bien, notre dernier appointement s’était conclu sur le refus de Maureen Haddock de signer l’autorisation d’émancipation de Sage Haddock. » Il relève les yeux de son papier et nous regarde. On a beau être assis côte à côte, nous sommes si loin l’une de l’autre. « Sage, vous m’avez dit la dernière fois que vous pouviez m’apporter des preuves que votre vie avec votre mère n’est pas… quels sont les termes que vous avez employé ? "Ce n’est pas une vie saine pour une jeune fille de seize ans, elle ne devrait pas rester enfermée sans accès à une école publique." Sont-ils là bien vos mots ? » J’hoche la tête. « Avez-vous des preuves de ce que vous avancez ? » « Tout à fait. » Je m’empare de mon sac et jette un coup d’œil vers ma mère qui me regarde comme si je la trahissais. « Mon dernier certificat – si le terme est correct – qui prouve de mon inscription en scolarité remonte à mes dix ans, donc en 1994. Après avoir été renvoyé de mon école – je ne remets pas ma personne en faute, de toute façon c’est du passé – ma mère, ici présente, ne m’a pas réinscrite dans une nouvelle école. Elle a trouvé plus intelligent de me faire l’école à la maison alors qu’elle n’a aucune compétence en tant que professeur. Depuis lors, elle n’a jamais pensé que je devrais retourner en école. Elle pensait que ce serait une perte d’argent, elle l’a même dit un jour. Ou ni même employer un véritable professeur. J’ai de sacré lacunes en mathématiques. Dieu merci je sais lire car j’aime ça, mais je suis sûre et certaine que je n’aurai jamais mon baccalauréat si on me le faisait passer à cet instant. » Je marque une pause pour regarder ma mère qui semble devenir livide bien qu’elle reste de marbre. « De plus, je lui ai de nombreuses fois demandé cette année d’entamer une conduite accompagnée car j’aimerai apprendre à conduire. Encore une fois, elle a refusé prétextant que je serai pour elle une perte d’argent. J’en viens à penser qu’elle ne veut même pas faire d’effort pour moi car je lui coûterai de l’argent. Voyez-vous, monsieur le juge, je suis pour elle plus un boulet qu’une enfant qu’elle est censé chérir. » Je ne la regarde même pas. « C’est sans compter qu’elle me laisse très peu de liberté. Et plus encore, je ne peux même pas sortir pour m’acheter ne serait-ce qu’une nouvelle tenue puisqu’elle refuse de me donner de l’argent. J’ai bien voulu me trouver un boulot cet été, mais elle a refusé de me laisser sortir. Elle dit que je vais causer des ennuis. Je sors quand même, je ne peux rester enfermée tout le temps. Mais à chaque fois que je veux mettre en place un projet important pour moi, elle refuse et me met des bâtons dans les roues. Tout ce qu’elle souhaite c’est de me voir échouer. Alors qu’un parent est tout de même censé encourager son enfant ! N’êtes-vous pas d’accord monsieur le juge ? Ne souhaitez-vous pas le meilleur pour vos enfants ? » J’ai bien entendu déjà remarqué les photos de sa petite famille sur son bureau. Il hoche la tête. Bien entendu qu’il leur souhaite le meilleur. « Ma mère… veut me voir rater ma vie. » Je baisse la tête et renifle. J’arrive même à feindre que je vais pleurer. Ma mise en scène est parfaite. Tout ce que j’espère, c’est que le juge va tomber dans le panneau. Il hoche la tête, regarde ses papiers, se tourne vers ma mère, la regarde. « Est-ce vrai que vous n’avez pas songé à la réinscrire dans une école ? » Elle est toute blanche. « Son directeur, à l’époque, m’a dit qu’aucune école ne la reprendrait à cause de son dossier alors… » « Alors vous n’avez même pas essayé. » « Je… je… Je lui ai donné des cours à la maison. » « Vous lui avez donné, vous n’avez pas employé quelqu’un de qualifié. L’école est obligatoire pour les enfants. » Elle baisse la tête, honteuse. « Le devoir d’un parent est de faire ce qui est juste pour son enfant, pas de s’arrêter sur les dires d’une tiers personne. » Il s’arrête de parler pour nous regarder toutes les deux. « Ça m’attriste toujours d’en arriver là et de voir des familles se déchirer… mais pour le bien de cette jeune fille je ne vois pas d’autres solutions. Mademoiselle Sage Haddock… » Je le regarde. J’ai arrêté de respirer, j’attends mon verdict. « J’autorise votre émancipation. À partir de maintenant vous dépendrez de vous-même. Toute bêtise que vous ferez, vous aurez à en subir les conséquences avec la justice. Dorénavant vous ne serez plus obligée de vivre avec votre mère. À partir de maintenant vous pouvez vous trouver un travail et vous payer votre propre loyer. Vous êtes dorénavant tutrice de votre personne. » Il me tend mon papier qu’il vient de signer, signe que je suis émancipée. Je suis libre… je suis libre ! « Merci… ! » Je me tourne vers ma mère et lui affiche un sourire vainqueur. « Je te dirais bien merci à toi aussi mais… je n’en vois pas l’intérêt. Dès demain j’aurai ramassé mes affaires et je serai partie. » Sur ces belles paroles, j’ai serré la main du juge et je suis partie.

∞ j'ai dix-sept ans.

If you got the money honey we got your disease

18 juin 2001 ♦

Sérieusement ? Une capote ? Dans un jardin public ? Mais les gens sont de gros dégueulasses ! Yeurk. Je ferme les yeux en même temps que je l’attrape à l’aide de ma pince spéciale ordures. J’ai un travail super glamour : je ramasse les ordures dans un jardin public. Jusque là je pensais avoir tout vu avec les canettes, les bouteilles, les emballages, une chaussette… mais là… un préservatif, utilisé en plus ! Dégueu, dégueu, dégueu ! Je le fourre dans le grand sac en plastique qui me sert de poubelle, et puis je saute sur place – les yeux fermés – comme pour m’enlever cette image de la tête. « Vous pouvez peut être m’aider. » Je rouvre les yeux, qui me parle ? Je me retourne et un mec est devant moi. Enfin que dis-je ? Un homme ! Mais je me méfie, que veut-il ? « Il y a quelque chose que je n’arrive pas à comprendre. » Pourquoi les gens balancent leurs capotes dans un parc public ? Non moi non plus je ne comprends pas ! « Comment une jeune fille aussi jolie peut-elle se réduire à ramasser des ordures ? » Je regarde autour de moi en fronçant les sourcils. Puis je le regarde à nouveau ? « Quoi, moi ? » Il sourit. « Évidemment, vois-tu d’autres jolies filles dans le coin ? » Je regarde une nouvelle fois autour de moi puis j’hoche la tête d’un air convaincu. « Ouais, et je pourrai même les citer. » Il rit. De ce rire confiant qui nous fait sentir comme si on venait de dire une infinie connerie. « Je t’ai remarqué de suite. » « C’est la tenue orange c’est ça ? » Le voilà qui rit à nouveau. Attention, dès demain je me lance dans une carrière de one-woman show. Après tout, je vis à Las Vegas et tout est possible ici. « Je m’appelle Kyle. » Dit-il en me tendant la main. Je regarde sa main, j’ai juste les miennes de prises. Et puis sincèrement, je ramasse des ordures, tu ne veux pas me serrer la main. Je lui désigne ce que je tiens. « C'est-à-dire que… » Il comprend. « Ouais, j’ai pas tellement envie de toucher ça, t’as raison. Quel est ton nom ? » « S… » Puis je me coupe. Est-ce que j’ai vraiment envie de lui donner mon nom ? Je veux dire… Sage, vraiment ? Je tourne la tête et qu’est-ce que je vois ? Un chat. Je le regarde à nouveau en souriant. « C’est sur que c’est sale. Moi c’est Kitty. » Il me regarde comme si je n’étais pas sérieuse. Bon d’un sens… ce n’est pas mon nom. Mais mon vrai nom est, comment dire, ridicule. « Tes parents aiment les chats ? » J’hausse des épaules, pas vraiment. J’ai noté qu’il a une pointe d’accent. « C’est quoi cet accent ? » « Je viens d’Irlande. » Me dit-il avec un petit clin d’œil. Oh l’Irlande, j’ai entendu dire que c’est beau. « Écoute, je ne comprends vraiment pas ce que tu fais à travailler ici. Et puis avec ces jambes… tu dois être danseuse, non ? » Je souris comme une imbécile. Non mais allô ! « Non pas vraiment… mais j’aime danser toute seule chez moi. Ou en soirée aussi. Enfin ce que je veux dire c’est que je ne suis pas pro. » Il rit encore et sort quelque chose de sa poche. « Kitty, si l’envie te dit d’avoir un vrai boulot, j’engage des danseuses et je pourrai bien te trouver un petit quelque chose. Passe me voir. Ça me fera très plaisir de voir ton beau sourire. » Il me tend une carte, dernier clin d’œil, je souris encore comme une idiote, et le voilà partit.

Un grand mec m’arrête quand j’entre dans le building. « Nom, motif de la visite. » « Bonjour, oui je vais bien, merci de vous en inquiéter. Un s’il vous plait ne vous écorchera pas le derrière. » Il me fusille du regard. « Kitty Haddock, j’ai rendez-vous pour un entretien d’embauche. » Il jette un œil à une liste et me fait signe de lever les bras. « Vraiment, vous voulez me fouiller ? Vous croyez que je cache quoi ? Une arme ? Où ? Dans ma culotte ! » Non mais sans déconner je porte une jupe et un débardeur, je vais la cacher où leur arme ?! Il me fusille encore du regard. « Ouais je sais, tu fais ton boulot. » Finalement il me laisse passer mais n’a vraiment pas l’air de m’apprécier. Quand j’arrive devant le bureau de Kyle – que j’ai donc rencontré l’autre jour et qui m’a donné sa carte – je le vois en discussion avec un mec. Quand ils me voient arriver, ils s’interrompent immédiatement et le mec s’en va alors que leur conversation semble inachevée. Mais je n’y prête pas attention. « Kitty, tu combles ma journée en me faisant l’honneur de venir me voir ! » Il tend les bras vers moi et me fait la bise. Puis sans me lâcher, il me fait tourner sur moi avant de me désigner une chaise. « J’ai vu juste, tu as de vraies jambes de danseuses. » Je souris. Quoi ? C’est plaisant de s’entendre dire ça. Il s’assoit contre son bureau, juste à côté de moi. « Alors dis-moi, tu aimes danser ? » « Oui. » « Et que penses-tu des spectacles de cabaret ? » « Quoi, avec costumes, chorégraphies, danses, mise en scène, tout ça ? » Il hoche la tête en passant derrière son bureau pour y prendre quelque chose dans un tiroir. Il s’agit d’une photographie qu’il me tend. « Voici l’un des spectacles que j’ai organisé l’an dernier. » Il s’agit de plusieurs filles habillées en tenue de sailor, elles dansent et les décors sont magnifiques. « Oh je trouve ça génial ! J’ai toujours rêvé de faire ça ! » En vérité, je ne sais même pas de quoi je rêve. « J’ai besoin de connaître ton âge cependant, de plus les horaires doivent coïncider avec ce que tu fais, je veux dire si tu suis des études ? » « Pas d’études. » J’ai arrêté quand j’ai eu ma liberté. « J’ai dix-sept ans. » Je le vois froncer des sourcils. « Mais je suis émancipée, donc je n’ai pas besoin d’accord de qui que ce soit pour travailler. De toute façon j’ai un certificat qui prouve que je le suis. Je l’ai si tu veux, enfin une copie. Je suis obligée de l’emmener quand je vais à un entretien d’embauche. » Il hoche la tête. « T’es une jeune fille responsable. » Je souris, je le sais, bien plus que ma mère. « Est-ce que tu aimes Victoria Secret ? » « C’est une blague ? » Je le regarde comme s’il venait de poser une question absurde. « J’ADORE !!! » Il sourit et me tend une feuille. « Dans ce cas tout est parfait, tu n’as plus qu’à signer en bas de la page, à démissionner de ton pathétique boulot – sans offense – et dès samedi prochain, tu commences à travailler pour moi. » « Samedi ? Mais et la semaine ? » « La semaine tu te reposes, tu fais du shopping, tu profites de la vie. » Mais ce métier c’est le rêve ! Je m’empare du stylo qu’il me tend et je signe… oups, j’ai failli écrire Sage, non Kitty Haddock. Signé, j’ai trouvé du boulot !

∞ j'ai vingt-et-un ans.

Dancing getting just a little naughty

22 novembre 2005 ♦

« Joyeux anniversaire Sage ! » Je me pose ma pile de pancakes devant moi en y posant une bougie à l’effigie de Super Mario. Et derrière je me pose un cadeau emballé dans du papier journal avec une tonne de scotch. « Oh un cadeau de moi pour moi ! Comment me remercier ? » Je déballe le paquet que j’ai tout de même mis vingt minutes à emballer (quand on voit le résultat… on se demande ce que j’ai foutu) et en sort une jolie robe d’été sur laquelle j’ai craqué l’autre jour. « Génial ! Je vais pouvoir la mettre aujourd’hui ! Merci Sage ! Oh mais je t’en prie Sage, ce fut un vrai plaisir. Je l’adore ! Dis-moi Sage, veux-tu bien me donner un peu de pancakes ? Fais-toi plaisir, je n’ai pas faim. » Je soupire en m’appuyant sur ma table, mains sur les joues. Je suis tellement seule… Je soupire une nouvelle fois en me demandant ce que je vais bien pouvoir faire de ma journée. J’ai vingt-et-un ans officiellement aujourd’hui, et je suis toute seule. Bien entendu que je m’entends avec les filles qui bossent avec moi, mais ce n’est pas tellement ça… En dehors, nous n’avons pas tellement en commun. Elles sont un peu futiles dans le fond. Je suis même prête à parier qu’elles étaient du genre cheerleader à l’école ! Si j’avais été à l’école, peut être que je l’aurai été… merci maman, encore une fois, de m’avoir gâché la vie ! Et puis m’appellerait-elle pour me souhaiter bon anniversaire ? Non. Je sursaute en entendant mon téléphone. Non… ce n’est quand même pas le destin qui la fait appeler ? Et ben non. C’est Kyle. « Bon anniversaire ma jolie Babydoll ! » Je souris. Oui c’est un surnom qu’il me donne. « T’es libre aujourd’hui ? Parfait, viens me retrouver à mon bureau. J’ai un cadeau spécial pour toi. » Il ne me laisse même pas le temps de répondre qu’il raccroche. Tout de suite, je me sens beaucoup mieux. Un cadeau, il a pensé à moi et il va m’offrir quelque chose. C’est sur que ce n’est pas ma mère qui ferait ça ! Hormis pour m’avoir donné la vie, elle n’aura jamais rien fait de bien pour moi. À se demander pourquoi je l’appelle maman. Elle n’a pas dû lire la définition dans le dictionnaire. Je ne suis certes peut être pas la fille exemplaire, mais elle est de loin la mère aimante dont un enfant a besoin. Je cesse de ressasser ces mauvaises pensées et je pars me préparer, en prenant soin de mettre ma nouvelle robe. Et me voilà partie pour rejoindre Kyle à son bureau. Chaque fois que je le vois, c’est à son bureau. J’en viendrai presque à me demander s’il vit ailleurs qu’à cet endroit. Je sais que oui, mais ça m’amuse.

« Bonjour Kyle ! » J’entre dans son bureau en souriant. Je me suis faite toute jolie pour mon anniversaire, j’ai envie d’être séduisante. Ce n’est pas tous les jours que j’ai vingt-et-un ans après tout ! « Bonjour Babydoll. » Il me fait signe d’entrer et de m’installer sur une chaise. Il vient s’appuyer contre son bureau, près de moi. Ça me rappelle étrangement mon entretien d’embauche. Enfin quoi qu’à l’époque je ne me doutais pas dans quoi je mettais les pieds… En vérité, je suis bien loin d’être « danseuse de cabaret ». Mon œil ouais ! Je suis stripper, je me déshabille pour de vieux pervers. M’enfin, j’ai appris à vivre avec. Je me fais de l’argent facilement, et puis dans le fond je danse. Même si c’est en tenue Victoria Secret… Il y a plus dégradant comme boulot. Je le regarde en souriant. « Très jolie robe. » « Je me la suis offerte pour mon anniversaire ! » Je le regarde à nouveau sans quitter mon sourire. « Alors tu as un cadeau pour moi ? » Il claque ses cuisses de ses mains en se redressant. « Exactement ! J’ai une promotion pour toi : maintenant que tu as l’âge tu passes au level sup’, j’ai certains clients qui t’ont remarqué et qui te trouvent à leurs goûts. Maintenant tu vas les satisfaire quand je te le dirai. » Un ange passe. Je le regarde avec cet air vide dans mes yeux. Il passe sa main devant mon visage pour me réveiller. « C’est une blague ? Parce que si c’est une blague, elle est très mauvaise ! » Il m’affiche son sourire le plus rassurant en posant sa main sur mon genoux. « Non Kitty, je suis très sérieux. Je te promus au rôle de ma très spéciale danseuse de chambre. » J’ouvre de grands yeux. Je n’y crois pas… Je dégage sa main en me levant. « On appelle ça une pute ! » Il hausse des épaules. « Appelle ça comme tu veux. » « C’est hors de question que je devienne une catin juste parce que tu l’as décidé ! » Je me dirige d’un pas assuré vers la porte. Mais avant que je ne sorte, il m’attrape par le poignet et me ramène vers lui. « Tu ne vas nulle part Babydoll. Tu n’as pas l’air d’avoir saisi la situation. » « Non c’est toi qui ne saisis pas ! Je ne jouerai pas la pute pour toi ! Va te faire foutre connard ! » En disant ces mots, j’ai vu son regard viré au noir sombre. Puis il a levé son bras de libre, j’ai vu son poing se refermer et il l’a écrasé sur mon visage. Comme il me tenait toujours au poignet, je suis tombée en me tordant le bras. C’est alors qu’il m’a forcé à me relever et m’a poussé sur la chaise. « J’estime avoir ton attention maintenant. » Il s’est penché vers moi. Mon œil me fait terriblement mal. « Désormais tu coucheras avec ceux que je te dirai. Je ne veux pas entendre une seule opposition de ta part. Je ne veux pas entendre mes clients se plaindre que tu as été mauvaise. De plus, on sait tous les deux que tu sais y faire. » Dit-il en me frottant le menton. Je détourne les yeux. Je n’ose même pas le regarder. Et ce n’est même pas la peine de me rappeler cet épisode désastreux où j’ai été naïve et faible à avoir coucher avec lui. En plus, je n’avais que dix-huit ans… et lui avait déjà bien dépassé la vingtaine. Je le regarde alors en le fusillant de mes yeux. Et puis ça été plus fort que moi… je lui ai craché à la figure. « Crève ! » Là son visage est devenu fureur. Il m’a attrapé et m’a plaqué sur son bureau. « Petite connasse ! Je te récupère dans la rue ! J’te donne un boulot qui paye ! Et c’est comme ça que tu me remercies ?! Tu vas m’le payer ! » Je commence à lui hurler de me lâcher. « C’est ça, agite-toi, ce ne sera que meilleur ! » Je me mets à pleurer tandis qu’il retire sa ceinture et ouvre son pantalon, en m’arrachant mes sous-vêtements. La suite est évidente… « Dégage maintenant, que j’ne te revois plus trainer ici ! La prochaine fois que je te vois, ce sera pour entendre les louanges de mes clients, tu m’as comprise ?! » Et il m’a jeté dehors en rigolant.

Dans les toilettes, j’ai pleuré pendant vingt minutes avant de me décider à me rhabiller, de me donner un air moins… désastreux, et de me sauver très vite de ce building. Mes pas m’ont inconsciemment conduit jusqu’à chez moi. Enfin… mon premier chez moi devrais-je dire. Chez ma mère. Quand j’ai  sonné et qu’elle a ouvert la porte, elle m’a regardé quelques instants en me détaillant avant de se pousser pour me laisser passer en soupirant. Je me suis effondrée sur une chaise de la cuisine en pleurant. « Que se passe-t-il ? » Je ne saurais même pas dire si elle semblait inquiète ou non. Je n’arrivais juste pas à m’arrêter de pleurer. « Pourquoi ton œil est tout bleu ? » Demanda-t-elle en attrapant mon visage. « C’est Kyle… » Je me sens tellement souillée et… moins que rien. Surtout après l’horreur qu’il vient tout juste de m’infliger. « Il m’a… frappé… et… » « Qui est Kyle ? » « Mon… mon patron. » Je continue de pleurer en m’essuyant mes larmes avec la paume de ma main. Mon maquillage a coulé et je l’étale sur mes joues, mais je n’en ai que faire. « Ah oui, ton boulot de strip-teaseuse. » Elle dit ça avec un dédain qui me blesse. « M’man, il m’a… il vient juste de… de me forcer à… » Elle s’assoit à côté de moi. « À quoi ? » « Il… il m’a vio… violé… » J’éclate encore plus en sanglots. J’ai envie de disparaître dix milles lieues sous terre. Et la réaction de ma mère… termine de m’achever. « Tu ne crois pas que tu l’as un peu cherché ? À faire ce travail dégradant, regarde donc comment tu t’habilles. Si tu n’avais pas d’aussi mauvaises fréquentations, ce genre de choses ne t’arriverait pas. Tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même. » Je l’ai regardé d’un air inerte, mes larmes continuant de rouler sur mes joues. « Quel genre de mère es-tu… ? » J’ai repoussé la chaise et je me suis enfuie en courant, sans cesser de pleurer. C’est le pire jour de ma vie ! Et le pire, c’est que c’est mon anniversaire…

   

∞ j'ai vingt-et-un ans et trois mois.

Wanna get dirrty it's about time for my arrival

   

2 février 2006 ♦

« Kitty, y a Kyle qu’i veut t’y voir. » Je regarde Daphne en grimaçant. « Qui veut te voir. » « Ouais c’est qu’est-ce j’ai dit. » Je soupire en secouant la tête. Cette nana ne sait pas parler. Elle a un accent que je n’arrive pas à situer, et quand on lui demande d’où elle vient, elle nous répond : de Nashville. Non je n’y crois pas, ils n’ont pas un accent aussi haché là-bas ! J’enfile un pull et une paire de leggings avant de sortir des loges. En arrivant devant son bureau, je ferme les yeux et prends une grande inspiration. Je sens mon corps qui commence à trembler, mais je me fais violence. J’ouvre la porte. « Tu m’veux quoi ? » Il hausse les sourcils. « Tu ne sais pas toquer avant d’entrer ? » J’hausse des épaules. « Peu importe, tu me veux quoi ? » Il s’avance vers moi, je recule. Il se contente de fermer la porte. Mais il a bien vu mon mouvement de peur, c’est pour ça qu’il a un effroyable sourire sur le visage. « Comment ça s’est passé avec Orwell ? » Todd Orwell, l’un de ses clients. Un mec d’une quarantaine d’années avec qui il m’a forcé à passer deux nuits déjà. Je hais Kyle, il le sait. « … » « Pardon ? » Il s’approche d’un air menaçant. « Bien, très bien, il a pris son pied ! » Je lui hurle à la figure en prenant soin d’imposer une distance entre nous. « Parfait, je suis fier de ma petite prostipute. » Je lui montre mon majeur. Enfin je choisis le moment où il me tourne le dos, donc il ne me voit pas. « Mais j’ai un nouveau boulot pour toi, tu en as de la chance ! » Je grimace. « Je veux que tu fasses entrer ça dans le casino de Cooper. Personne ne doit savoir que tu transportes ça, tu le déposeras dans la suite 404. Et puis en extra, si mon client a envie de s’envoyer en l’air, tu le satisferas. » Il dépose un petit paquet blanc sur son bureau. J’ouvre de grands yeux. « Quoi ? De la drogue ?! T’es dingue ?!!!! » Il fronce les sourcils. « Tu refuses ? » « Je veux pas finir en prison ! » Il commence à s’avancer vers moi. « Tu veux que je te rappelle ce qu’il s’est passé la dernière fois que tu as refusé mon offre si généreuse ? » Il attrape mon visage entre sa main en me faisant mal, il le fait exprès. Je grimace. « Tu ne voudrais pas abîmer ce si joli visage, n’est-ce pas Babydoll ? » Je détourne le regard et me prive bien de répondre. Je ne vais pas lui donner cette joie. « Alors ? » Il me pousse contre le mur en me coupant la respiration. « Ok, d’accord ! » Je sens les larmes me monter aux yeux. « J’le ferai ! » Cette fois-ci il me lâche en souriant. « Je savais que je pouvais compter sur toi ! » Il retourne à son bureau et me balance le petit paquet. « Maintenant dégage, j’attends quelqu’un d’autre. » Je ne sais même pas quoi faire de ça. « Et comment je le fais entrer ? » « Démerdes-toi ! Mais te fais pas prendre aux contrôles. Et s’il faut que tu te l’enfonces quelque part, fais-le, je m’en fous que tu souffres, mais t’as intérêt à faire livrer ça ! » Je baisse la tête. De toute façon si je dis quelque chose, il s’arrangera encore pour avoir le dernier mot. Au moment où j’ouvre la porte, je me retrouve nez à nez avec Kelly, une autre des filles qui danse également. « Ah Babydoll ! » Qu’il s’exclame en la voyant. Je lui jette un regard choqué et sombre. Parce qu’en plus il nous appelle toutes comme ça ?! Je ne sais même pas pourquoi je suis surprise… Kyle n’est qu’un putain d’enfoiré de première.

∞ j'ai vingt-quatre ans.

toi tu couches avec une nouvelle meuf tous les mois moi la mienne je la touche pas

4 mai 2008 ♦

« Combien ? » Me demande Beth en se penchant au-dessus de mon épaule. Je suis en train de compter des billets que j’ai eus pendant mon show. « Douze. » « C’est tout ? Moi j’me suis fait vingt-trois ! » Je la regarde en souriant. « Douze du même mec. » Petit regard espiègle de sa part. « Ouuh. Kitty a un admirateur ! » Elles se mettent à rire. D’ordinaire on reçoit de l’argent de plusieurs mecs, mais pas autant d’un même. À moins de ne lui faire un show particulier, ce que je ne fais pas. Du moins, pas tant que Kyle ne m’y force pas. Je compte le reste, vingt-quatre. Pas mal, c’est déjà bien dira-t-on. Je range mon argent dans mon soutien-gorge. Quoi ? On fait avec les moyens du bord. Et puis c’est un push-up, y a de quoi caser des billets là-dedans. Puis je vais me changer, j’enfile ma robe de soirée. J’ai terminé ma nuit de boulot, je compte bien m’amuser maintenant. Je suis à Vegas, pourquoi n’en profiterais-je pas ? De plus, le gars qui m’a glissé tous ses billets semblait vraiment sexy comme ça. « Bye les filles ! » Elles me saluent en retour, je suis partie.



« Salut ! » Je crie pour qu’on m’entende par-dessus la musique assourdissante. J’ai un verre en main et je viens juste de retrouver le mec qui m’a donné tous ces billets. « Ça va ? » Il se tourne vers moi et semble même surpris de me voir. Puis il regarde à gauche et à droite comme pour vérifier que je m’adresse bien à lui. Je me mets à rire. Pour ma défense, j’ai déjà bu plusieurs verres, j’en suis au stade où je rigole pour tout et n’importe quoi. « Euh… » « Je m’appelle Kitty ! » C’est devenu presque naturel de donner mon faux prénom maintenant. Un petit brun se ramène alors et me reluque de haut en bas. Vas-y ne te gêne pas, fais-toi plaisir. « Helloooooo. » Je ris, bien entendu. « Ton pote est muet ? » Il le regarde, puis me regarde, puis le désigne du doigt en ayant l’air surpris. « Lui ? Noooon ! » « Alors pourquoi est-ce qu’il ne me répond pas quand je lui parle ? » J’offre un sourire charmeur au grand blond. « Faut le faire boire. » Boire ? Je connais ça. « Ok, je m’en occupe. Je connais le barman. » Je retourne au comptoir pour demander à Eddie de me servir un plateau entier de shoots. Et me voilà de retour avec le plateau que je tiens bien au-dessus de ma tête. « C’est quoi vos noms ? » Je continue de crier pour qu’on m’entende. « Moi c’est Luke, lui c’est Abu ! » Je regarde le blond en rigolant. « Quoi ? Comme le singe dans Aladdin ? » Je tombe à la renverse sur le siège juste à côté de lui en riant. « Abu, enchantée. Bois maintenant ! » Je lui tends un verre, j’en prends un, on trinque, on boit, on trinque, on boit, on trinque, on boit, on brinque, on troit…

« Viens danser, j’adore cette musique ! » Je l’attrape par la main et l’entraine sur la piste de danse. L’Abu du début qui ne parlait pas s’est volatilisé, l’alcool l’a bien aidé. Maintenant il danse avec moi. Je me rapproche de lui en ondulant, je secoue mes cheveux, je me colle contre lui. La nuit est loin d’être finie. Un serveur passe à ce moment là avec un plateau contenant des verres. J’en attrape deux et en fait boire un à Abu, le second est pour moi. Je rigole. « Je t’aime bien Abu ! » Je passe mes mains sur son cou, sa mâchoire, puis je l’attire vers moi pour l’embrasser. Il a le goût de l’alcool.

« I LOVE LAS VEGAAAAAAAAS !!! » Luke tend son verre en l’air en hurlant et en titubant. Il m’arrache des bras d’Abu pour passer ses bras autour de nos cous. « V’savez quoi ? Vous devriez vous marier ! J’ai vu une joooooolie chappelle là-bas ! V’nez ! »

« Voulez-vous prendre pour épouse… quel est votre nom ? » « On s’en balance, dites le truc je vous bénie blah blah blah… » « Vous êtes d’accord mon enfant ? » « Ouais, dites comme elle dit ! » « Je vous déclare mari et femme, notre père vous aime et béni votre amour. Ah qu’ils sont beaux… ! » Abu m’attrape par la taille et me tire contre lui en m’embrassant. Je chavire en arrière, il me tombe dessus, on rigole. Luke se jette sur nous. Je suis écrasée. « WOUHOUH ! » « J’ai soif. » On se relève tous. « Y a une fontaine de vin, viens ! » J’attrape Abu par la main, l’entraine avec moi. On va boire !

Je viens encore de boire un verre d’alcool, j’en suis à mon… J’attrape la main d’Abu en dansant. « J’ai envie d’toi ! » J’crie dans son oreille. Il m’regarde comme si lui aussi. Sans le lâcher, je l’entraine hors de cet enfer dansant.

Les portes de l’ascenseur se referment, on est tous seuls. Je lui saute dessus en l’embrassant et en ouvrant sa chemise. « Y a pas des caméras dans ces trucs ? » Qu’il demande en levant la tête. « On s’en tape ! » Ce qu’il peut être distrait !

Il me plaque contre la porte de sa chambre d’hôtel en m’embrassant. Il tente de trouver sa clef mais c’est pas facile parce qu’il regarde pas. « Attends… » J’ai chaud. Je glisse mes mains jusqu’à son pantalon, puis dans sa nuque. « Trouvé ! » Il me montre sa clef fièrement. Je m’en fous ! Il ouvre enfin la porte.

Je le fais tomber sur le lit, mes lèvres descendent le long de son cou jusqu’à son torse. Je le sens aussi chaud que moi.

Il essaye depuis cinq minutes d’ouvrir ma robe. « Dézippe. Dézippe j’te dis ! » Je sens sa main qui s’active mais rien n’y fait. « C’est pourtant pas compliqué roh ! » « J’y vois rien… » « Oh laisse-moi faire ! » Je le pousse sur le lit sur lequel il s’écroule. « J’ai besoin de boire, et toi aussi ! » Je me lève pour aller me servir dans le mini bar. Deux vodkas avec un quelconque jus de fruit. Je reviens vers le lit… il ronfle. Je le regarde ronfler. « Hé ! » Je tape sur sa jambe. Il ronfle encore plus fort. Je m’assois en soupirant. Je regarde mes verres d’un air las. J’hausse des épaules. Je les bois. Puis je retire ma robe et m’allonge à côté de lui.

Dans ma tête, je crois qu’il y a un rouleur compresseur. Et dans mon lit – qui n’est même pas le mien en fait – il y a un mec. Ouh, sexy mec. Oh… oui je me rappelle. Le mec qui n’a même pas su ouvrir ma robe. Le mec qui m’a laissé en plan en s’endormant. Le mec qui me fruste sexuellement en fait. Y a écrit quoi sur son dos ? Viv la marié Kity é Abo ! … Celui qui a écrit ça était vraiment défoncé. Pouah j’ai faim ! Je vais aller chercher quelques croissants et après on pourra rattraper notre nuit perdue. J’y tiens moi ! J’enfile ma robe, mes chaussures, je farfouille dans sa valise, oh un pull. Qui prend un pull pour venir à Vegas ? Peu importe, je vais lui piquer. Je lui rendrai tout à l’heure. C’est quoi ça « Chipmunck » ? N’connais pas. J’ai vraiment faim ! Et pas que de nourriture ! Héhé.

C’est pas vrai, il s’est barré ?! Sa chambre est vide ! Le lit est vide ! Il a disparu ! Mais quel… BOULET ce mec ! RAAAAH ! Je suis frustrée, voilà ! M’en fous, j’ai toujours son pull ! Nah !

« Alors ta soirée d’hier soir ? » Me demande Beth en s’asseyant à côté de moi, ce soir là, dans les loges. « Oh… » Je me frotte la tête. « Je crois que je me suis mariée… » J’ai une voix faiblarde. « Vraiment ? » « Ou pas… je ne sais plus bien. Probablement pas. Quand on se marie, on couche ensembles après ? » « Ouais ! » Elle le sait, elle est mariée après tout. « Bah dans ce cas alors j’me suis pas mariée. » Voilà, ça explique tout et ça répond aux questions. Bon, je dois aller danser.

∞ j'ai vingt-neuf ans.

My songs know what you did in the dark

8 janvier 2014 ♦

48 heures auparavant.
DING DING DING DING ! Je fais un bond sur place et me passe la main sur la tête. Ah… ce n’est pas ça qui sonne. Ni mes seins, je n’ai pas de poches là, mon pantalon, ah mon téléphone ! « Allô… ? » Ma bouche est pâteuse, pouah. « Tu fous quoi ? Où est ma came ? Mon client est là et il est vénère ! ET MOI AUSSI ! Ramène-toi immédiatement ! » Oh cesse de crier, ma tête bourdonne. « J’arrive… » Je raccroche sans écouter le reste. J’essaye d’ouvrir les yeux mais c’est duuuur. Et puis où suis-je d’abord ? Parce que quand je dors à la maison, et ben je dors en pyjama. Et puis… idiote que je suis, je n’ai plus de maison. Voilà où je suis, quelque part, à un endroit où j’ai été squatté. « Tu veux du café ? » Me demande une voix quand je traverse la cuisine en trainant des pieds. « Huh ? Ouais, merci. » J’attrape la tasse qu’on me tend et je bois tout en plongeant presque mon nez dedans. L’odeur et la chaleur me font du bien. Le pire ? Je n’aime pas le café. Mais aux grands remèdes quand il en vient de se réveiller. Je pose la tasse vide sur la table, je salue la personne peu importe de qui il s’agit et je traine les pieds jusqu’à la porte. Sauf que juste avant de sortir, je m’arrête net. C’est quoi ce bordel ? Je fais un 360° pour regarder tout autour de moi. C’est quoi… ça ?! Je porte la main à ma tête dans un geste désespéré. « Oh la la la la la la… » Il y a des gens qui dorment sur les canapés, par terre, il y a des déchets de bouteilles et de joints partout. « Je suis dans la merde… » Je viens de comprendre pourquoi Kyle m’a appelé.

« COMMENT ÇA TU L’AS PERDU ???? » Kyle hurle, ma tête flanche. Je baisse les yeux sur mes mains. « C'est-à-dire que… » Même son client est là, celui à qui j’aurai dû livrer le paquet. Il a les bras croisés et me dévisage comme si je venais de tuer son chien. « J’étais en route hier soir… et puis on m’a appelé pour me dire qu’il y avait une fête… tu sais comment est Beth quand elle devient insistante… alors je me suis dit que je pouvais passer juste une heure ou deux… » Ils me regardent, visiblement Kyle a largement dépassé le stade de sa patience. « On a bu… et puis j’ai trouvé quelque chose dans ma poche… et puis… et puis après c’est le black-out total… » J’ai juste vu – et surtout sentit – la main de Kyle s’écraser contre ma joue. « Aoow ! » Je pose ma main sur ma joue brûlante. Ses yeux reflétaient la fureur. Les miens probablement la peur… Il s’est éloigné en se massant les tempes. « Vas-y j’te la laisse s’tu veux. » A-t-il soufflé à l’autre mec qui se tenait toujours droit, les bras croisés. « Quoi ? » Il m’a regardé avec un sourire perfide. « Non ! Non mais j’peux… j’peux… » « Tu peux quoi ? » Ouais je peux quoi au juste ? « Je ne sais pas encore mais… trouvons une solution ! » Kyle m’a regardé fixement. Il me fait peur… « T’as moyen de me rendre ma came ? » Je secoue la tête avec honte. « De me rendre mon argent ? » « Ton argent ? » Je ne comprends pas. « Ouais mon argent ! Le prix de la came que t’as perdu comme une idiote ! » « Oh… » Je baisse la tête en haussant des épaules. « Combien il te faudrait ? » Il marque une pause en regardant son client. « Deux cent. » « Ouais au moins. Plus trente-trois pour compensation. » Puis il se retourne vers moi. « Deux cent trente trois. » J’hausse des sourcils en me redressant, très léger sourire aux lèvres. « C’est tout ? Ouais j’peux trouver ça. Deux cent trente-trois dollars… » « Mais quelle est conne bordel ! » Il se met à rire nerveusement. « DEUX CENTRE TRENTE TROIS MILLE DOLLARS PÉTASSE ! » Je sursaute quand il me hurle dessus. J’ai l’impression de dépérir sur ma chaise. J’hoche la tête, défaitiste, je ne vais jamais trouver cette somme. « Tu as quarante-huit heures. Si dans 48h je ne vois pas mon argent ici même… je m’occuperai personnellement de ton cas ! » Je déglutis. Je vais mourir.

45 heures auparavant.
Je tourne en boucle depuis trois bonnes heures à me demander ce que je vais bien pouvoir faire pour récupérer autant d’argent en si peu de temps. Je suis dans la merde ! Je suis dans la… « Allô ? » Mon téléphone vient de sonner, oh génial, Kyle encore. « Tu bosses ce soir, avec Dorian Powell. » « Quoi ce gros sado-maso ? » « C’est ça, éclate-toi bien ! Et comptes pas sur une échappatoire à minuit, il t’a commandé de vingt-deux heures à neuf heures du matin. » Mais… c’est dans trois heures ! « Amuse-toi bien ! » Et il raccroche. Quel… connard d’enfoiré ! Je vais mourir.

44 heures auparavant.
« Kevin j’ai besoin de ton aide ! » M’exclamais-je dans le téléphone quand ledit Kevin décrocha de sa voix lasse. « Non je t’ai déjà dit que ça ne m’intéresse pas de coucher avec toi. » « Ta gueule ! » Comme si j’en avais envie. Pff. « J’ai vraiment, vraiment, vraiment besoin d’une porte de sortie de secours ! » Je referme la fenêtre de ma voiture. Seule chose qu’il me reste encore et dans laquelle je passe le plus clair de mon temps maintenant que mon appartement a été saisi. « Kyle veut m’tuer. » « Qu’est-ce que t’as fait ? » Tout de suite… oui enfin en même temps. « J’ai perdu sa cam. Il veut que je lui trouve 233 000 dollars pour dans… » Je regarde ma montre. « … 44 heures. » Silence au bout de la ligne. « Kevin ? » « Laisse-moi voir ce que je peux faire, je te rappelle. » « Fais vite, je t’en prie ! » Kevin, l’un des seuls mecs que je connaisse ici qui semblent savoir tout sur tout le monde. Il connaît même mon vrai complet, il sait que Kitty n’est qu’un pseudonyme. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est un mec sur qui on peut vraiment compter. Enfin tant qu’on ne le coule pas avec nous.

37 heures auparavant.
Je m’enferme dans la salle de bain en silence, j’essaye de faire le moins de bruit possible depuis que mon téléphone s’est mis à vibrer. Déjà que le vibreur est fort… et finalement ce gros porc s’est endormi. Je n’ai vraiment pas envie de revivre cet enfer encore ! Alors je m’exile dans la salle de bain. « Allô ? » Je chuchote. « C’Kevin. Bon alors j’ai fait mes recherches – j’ai contacté un mec qui connaît un mec qui connaît un mec tout ça – et j’ai découvert un truc plutôt intéressant à ton sujet. » Pourquoi il marque une pause ? C’est quoi ce jeu de suspens ?! Il veut que je lui rappelle qu’il est trois heures du matin et qu’en plus ma vie ne tient plus qu’à un fil ? « C’est quoi ? » Demandais-je impatiemment. « Tu savais que t’étais toujours mariée ? » Gros blanc. « Je suis mariée ? » « Tu ne le savais même pas ? T’es sûre de pas être blonde un peu ? » Qu’il me dit en riant. « Qui est le mec ? » Silence. « Aucune idée. Mais je peux mener mon enquête. » « Oui fais je t’en prie ! Il me reste moins de 40 heures… » Punaise… je suis mariée, sans déconner ? Mais comment c’est arrivé ?

31 heures auparavant.
Mais il fait quoi Kevin ?? Pourquoi est-ce qu’il ne rappelle pas ? J’ai déjà détourné deux appels de Kyle. Il va finir par se poser des questions ! Ou pire ! Se douter de quelque chose ! Je vais mourir.

28 heures auparavant.
Je désespère, Kevin ne rappelle pas ! Je vais vraiment mourir.

24 heures auparavant.
Quand mon téléphone a sonné – sans afficher le nom de Kyle – je me suis littéralement jetée dessus. « ENFIN ! » J’ai entendu une voix feutrée de l’autre côté et des bruits de papiers. « Ok, j’ai ton issue de secours ma belle. » « Balance ! » Je verrouille ma voiture en regardant de tous les côtés que personne ne se ramène par ici. Je suis en panique totale ! « Alors tu t’es mariée il y a cinq ans ici même à Las Vegas avec un mec qui était juste de passage, apparemment. » Je n’en ai aucun souvenir, absolument aucun. « Le mec s’appelle Abu Dwight. » Je l’entends ricaner. « Nom de merde. Bref, il vit carrément loin d’ici. Au Texas. » Abu… pourquoi ce nom me dit quelque chose ? « La ville : Pasadena. Il est célibataire aux dernières nouvelles, il a un boulot posé d’épicier. Il roule pas sur l’or mais se démerde bien. Tu veux des infos sur sa famille, parents, frères, sœurs, tout ça ? » « Non. Où tu dis qu’il vit déjà ? » « Pasadena au Texas. » « C’est connu ça ? » « Pas du tout, c’est genre une ville d'allumés qui idolâtrent tous un genre d'écureuil. » « Parfait ! Tu me sauves la vie Kevin ! Comment je peux t’en être redevable ? » Il réfléchit un instant. « T’auras encore besoin de ta voiture ? » Ma voiture ? Je ne pense pas non. « Nope, j’peux te la refiler pour pas cher. Tu comprends que j’ai toujours besoin d’un peu d’argent ? » « Cinq cent billets ? » « Ça roule ! Je te la laisserai près du macdo. » « Ok, laisse les clés au gars qui balaye, celui qui s’appelle René. » « Ok. Merci Kevin ! Merci, vraiment ! » Je raccroche et j’ai l’impression de respirer à nouveau. J’ai une sortie de secours ! « Abu… mais oui je sais !!!!!!! » Je me mets à rire toute seule. « Le singe d’Aladdin bien sûr ! » Je ne vais pas mourir.

22 heures auparavant.
Je viens tout juste de m’acheter mon billet d’avion, j’embarque dans douze heures. Je suis encore dans les temps ! L’avion décollera dans quinze heures. Mon cœur bat la chamade. Avec l’argent de Kevin, j’ai juste eu de quoi m’acheter mon billet. Je suis ruinée, je n’ai plus rien. J’ai dépensé mes derniers sous dans une nouvelle coupe de cheveux avec une nouvelle couleur. Je suis blonde… ça me fait bizarre, mais j’aime ça. Oh et pour faire fort, je me suis achetée une espèce de bague en plastique bon marché avec un… dauphin je crois dessus. Ce sera ma fausse bague de mariée. Maintenant j’empaquette mes affaires les plus précieuses dans ma seule valise et délaisse le reste dans ma voiture. Voiture que je vais laisser au lieu de rendez-vous imposé avec Kevin. Quant à ma valise… je vais la mettre dans un casier fermé à l’aéroport en attendant. Ce sera déjà ça en moins à me trainer.

19 heures auparavant.
Kyle m’appelle – encore – mais cette fois je décroche. « T’as mon argent ? » « Bientôt ! » « Il te reste juste dix-neuf heures. Sinon… » « Je sais ! Je l’aurai ! » Et je raccroche. Je me garde bien de lui dire qu’il peut aller se faire foutre, que moi je serai bientôt en Alaska. Il serait capable de faire exploser l’avion.

10 heures auparavant.
C’est l’heure d’embarquer… enfin ! Je prends mon téléphone pour appeler Kyle d’un endroit calme avant d’entrer dans l’aéroport. « Kyle, je serai à ton bureau dans huit heures ! Avec l’argent évidemment, sois là aussi. » Je ne lui laisse pas le temps de me poser plus de questions. Dans huit heures je serai loin, mais lui m’attendra à son bureau. Pas de risques qu’il me cherche avant ! Je retire la carte SIM de mon téléphone. Que vais-je en faire ? Oh je sais ! Je m’approche d’un mendiant et la lui donne. « Tenez, je n’ai que cinq dollars à vous offrir, et cette carte de téléphone. Vous pouvez vous acheter un téléphone pour pas cher si vous arrivez à gagner un peu plus, et vous pourrez alors l’utiliser. Le forfait est déjà payé, c’est même mon patron qui s’en occupe. Vu qu’il a toujours besoin de me joindre. Par ailleurs, si vous trouvez un téléphone et que vous rallumez… uhm, le code de la carte : 5602. Et s’il demande Kitty, et bien… oh je vous laisse innover. Racontez-lui une blague ! Ou même votre vie, il appréciera. » Je lui offre un grand sourire et m’éloigne en trottinant, le cœur un peu plus léger. Bien entendu j’ai gardé mon téléphone. C’est la seule chose chère qu’il me reste : mon Iphone. Je compte bien ne pas m’en séparer !

7 heures auparavant.
Je boucle ma ceinture, l’avion s’ébranle et démarre. Je regarde l’aéroport en retenant mon souffle. Soudain l’avion décolle. Mes oreilles se bouchent. Je me penche sur le hublot pour dire mentalement au revoir à cette ville qui – avec du recul – ne semble m’avoir apporté que de la misère. Adieu Las Vegas. Je suis en vie.

Time out.
Kyle doit probablement péter un câble dans son bureau en m’attendant. L’avion passe dans un trou d’air. Vivement que j’arrive dans cette ville au nom étrange, au Texas. Et que je rencontre mon mari – trop bizarre – au nom étrange lui aussi. Je pose ma tête en arrière et ferme les yeux, je vais enfin pouvoir dormir un peu… depuis ces quarante-huit dernières heures… je n’ai pas dormi… je suis épuisée…