Une vive douleur me tire de mon long sommeil et j’ouvre péniblement les yeux. Le plafond blanc ne me semble pas familier. J’ai froid … j’ai terriblement froid. Je tente de me relever mais rien à faire, la douleur est trop forte. Je gémis et soudain, une jeune femme se penche au-dessus de moi prenant ma main dans la sienne. La chaleur de sa peau sur la mienne glacée me fait l’effet d’une décharge électrique et je me sens parcouru d’un long frisson. « Cap’ ? Cappie, tu m’entends ? » J’ouvre la bouche pour parler mais je ne parviens pas à prononcer un seul mot. La jeune femme s’empresse de poser sa main sur ma bouche. « Ne parle pas, garde tes forces. » Elle pose alors son front sur le mien et je me sens comme violé. Je ne connais pas cette fille. Et pire encore, je n'ai pas la moindre idée de ce que je fais là. J’aimerai la repousser mais je n’en ai pas la force, je me contente d’attendre. D’attendre qu’elle parte, si jamais elle part un jour. Mes paupières lourdes ne tardent pas à tomber devant mes yeux et je me laisse entraîner dans un profond sommeil.

« Brynn arrête. Rentre dormir, je vais rester avec lui. » Réveillé, je m’applique à rester immobile et silencieux, je ne sais pas ce qui se passe mais il se pourrait bien que ce gars arrive à déloger la jeune femme de cette foutue chambre. Oui car entre temps, j’ai eu le temps de réfléchir. Je ne sais peut-être pas comment j’ai atterri ici mais ça ne laisse aucun doute, je suis dans un lit d’hôpital. J’dois avouer que les perfusions dans le creux de mon coude gauche et sur le dessus de ma main droite m’ont aidé. J’aime pas le sparadrap … ça colle, ça tire, c’est … désagréable. Je hais les hôpitaux. « Mais/ » Oh non, ne discute pas et tire-toi. « Tu tiens à peine debout, vire de là. S’il y a du nouveau, je t’appelle ok ? » Ah ce gars-là me plait ! J’entends la demoiselle soupirer mais elle semble faire ce qu’on lui demande. On vient m’embrasser sur le front et je retiens un profond soupire de désespoir. Enfin le bruit de talons sur le sol s’éloigne jusqu’à ne plus être audible. Prudent, j’ouvre un œil et scrute la pièce. La voie est libre, je vais peut-être enfin comprendre ce qui se passe. Un jeune homme brun est assis sur l’espèce de fauteuil à côté de mon lit, il ne remarque pas que je suis réveillé, trop occupé à jouer avec sa console. Je me racle la gorge mais ça ressemble plus à un mouton qui s’étouffe. Le gars lève les yeux incrédule et souris. Il se lève, s’éloigne puis reviens avec un verre d’eau. J’essaye de me redresser mais rien à faire, c’est comme si j’avais perdu toutes mes forces. « Attends. » Me dit-il en allant chercher une paille. Roh, décidément, je l’adore ce gars. J’attrape la paille entre mes dents puis aspire doucement l’eau contenue dans le gobelet. Avaler m’est douloureux mais j’ai tellement soif … « Merci. » Ma voix est vraiment moche … on croirait entendre un vieux avec un sacré cancer aux poumons. Je soupire. « Comment tu te sens ? » me demande le gars en s’asseyant sur le bord de mon lit. J’hésite à lui mentir. A lui dire que je me sens pas trop mal vue les circonstances … mais j’me dis que si je commence comme ça, j’risque de vite me perdre. Aller, un peu d’honnêteté dans ce monde de fous ne fera pas d’mal. « Hm … désolé mais on s’connait ? » Ouais, j’avoue que j’aurai pu faire dans la finesse mais à quoi bon tourner autour du pot, hein ? Le gars me regarde tristement mais il n’est même pas surpris. « Le médecin nous avait prévenu qu’il se pourrait que tu ais quelques séquelles. » m'explique-t-il comme s’il avait lu dans mes pensées. Néanmoins, il prend une grande inspiration et sourit. « Moi, c’est Chuck et je suis ton meilleur ami depuis … depuis toujours, j’dirai. » Chuck, hein ? Ça ne me dit rien du tout. Je soupire et lui aussi. « Aller va, tu finiras bien par te rappeler de quelque chose. Tu sais comment tu t’appelles déjà ? » Tiens, c’est vrai que je ne m’étais même pas poser la question. Mais oui. Oui, je sais comment je m’appelle. Archie, Captain Carmichael aka Cappie. J’acquiesce d’un signe de tête. « Bah, c’est déjà un bon début. » annonce-t-il fièrement. Je lui souris. Je n’ai vraiment aucun doute quant au fait qu’on soit meilleurs amis. Ce gars-là semble bien me connaitre et j’aime beaucoup sa façon de voir les choses. Le verre à moitié plein. « Tu pourrais me parler de moi ? De ma vie, de ma famille, de mes amis et aussi du p’tit bout de femme que tu as réussi à chasser tout à l’heure ? » Il se met à rire et je le regarde intrigué. « Tu ne préférerais pas te reposer d’abord ? » Je secoue la tête. Il n’en est pas question, j’ai besoin de savoir qui je suis. Je me sens si … vide. Au même moment, un homme en blouse blanche débarque et je soupire, la petite histoire attendra. D'abord, faut que je me tape les examens. Bien.

Lorsque je reviens dans ma chambre après avoir passé une IRM, je soupire. Chuck est toujours là mais il n’est plus seul. La fille, cette Brynn est de retour. Elle a les joues trempées de larmes, il a dû lui dire que je ne me rappelle pas d’elle. Une fois que les infirmières m’ont rebranché à la machine pour contrôler mon rythme cardiaque, elles quittent la pièce. Chuck s’avance vers moi avec un sourire. « Cap’, je te présente Brynn. Ta petite amie. » Je penche la tête sur le côté alors que Brynn, elle, regarde ses pieds. « Salut Brynn. » A peine ai-je prononcé ces mots qu’elle se précipite hors de la chambre. Chuck lui court après en espérant la faire revenir mais je crois que c’est trop tôt. Elle n’est pas prête. Je ne le suis pas non-plus. « Fiche-moi la paix. » Sa voix me parvient depuis le couloir et Chuck ne tarde pas à revenir. Seul. « Désolé. » J’hausse les épaules. Il n’a pas à l’être. Ce n’est pas comme si j’avais envie qu’elle soit là. Pour l’instant, tout ce que je veux, c’est comprendre. Avoir des réponses à toutes ces questions qui se bousculent dans ma tête. Chuck m’a promis d’y répondre. « Qu’est-ce qui m’est arrivé ? » Je lève les yeux vers lui et je l’entends soupirer. Ayant repris un peu de forces, je me redresse, ramenant mes jambes en tailleur. J’ai mal mais je m’y habitue petit à petit. Chuck enlève ses chaussures et grimpe sur mon lit se positionnant de sorte à être face à moi. « Tu es sûr de vouloir faire ça maintenant ? » Me demande-t-il. J’hoche la tête. Je suis prêt. Prêt à entendre pour la toute première fois l’histoire de ma vie. « Tu as eu un accident de voiture. Tu venais de quitter la maison, tu m’avais donné comme mission de terminer le diner pendant que tu allais chercher Brynn à l’aéroport. Tu avais tout prévu, tout se devait d’être parfait et c’était plutôt bien parti. Mais/ » Je l’interromps soudainement. Je suis peut-être perfectionniste mais pourquoi est-ce que cette soirée se devait-elle d’être parfaite ? « Pourquoi, pourquoi est-ce que tout devait être parfait ? » Son regard s’assombri. Il remue sur le lit cherchant quelque chose dans la poche de sa veste. Il en sort une petite boîte et me la tend. Je l’ouvre puis la referme. « J’allais la demander en mariage ? » Il acquiesce d’un signe de tête et je baisse les yeux. Je me sens mal, j’aimerai me souvenir de tout ça mais rien, pas même une bride. Non, rien.  « Elle n’est pas au courant, j’étais le seul à qui tu l’avais dit et je n’ai pas vendu la mèche. Ca n’aurait été que plus dur pour elle. Elle se sent responsable, elle dit que si elle avait pris un taxi plutôt que de compter sur toi, rien de tout ça ne serait arrivé. » Toujours la tête baissée, je ne sais pas trop quoi répondre. J’ouvre de nouveau le boitier et contemple la jolie petite bague qu’il contient.

Au moment où la silhouette de Brynn se dessine derrière la fenêtre de ma chambre, Chuck m’a déjà raconté quasiment tout ce qu’il sait sur moi et ce n’est pas peu dire. On y a passé toute la journée et je dois avouer qu’on a bien rigolé. Enfin, lui s’est marré, moi je me retenais comme je pouvais. Faut dire que rire avec des côtes cassées, ce n’est ce qu’il y a de plus agréable … le pire, c’est que ça le faisait rire encore plus ce con ! Non sérieusement, j’adore ce gars. Chuck, qui a remis ses chaussures et qui s’apprête à rentrer chez lui, suis mon regard. Elle n’ose pas rentrer dans ma chambre. « Tu veux que je la persuade de venir te voir ? » me demande-t-il. Je ne sais pas. J’hésite. D’après ce qu’il m’a dit, je suis fou d’elle seulement lorsque sa peau a touché la mienne ou quand elle a posé ses lèvres sur mon front … je n’ai rien ressenti. Rien. J’ai peur de la décevoir. J’hausse les épaules. « Bon en tout cas, moi j’y vais. Ton téléphone est dans ton jean là-bas donc si tu as besoin de quoi que ce soit, appelle-moi, ok. » Il me montre une petite armoire de la main et j’acquiesce d’un signe de tête, puis me souriant une dernière fois, il sort de la chambre. Seulement la porte ne se referme pas. Je devine qui la retient mais personne ne se pointe. Je soupire discrètement. « Entre, je ne vais pas te manger. » Dis-je assez fort pour qu’elle m’entende. Soudain une jolie petite tête brune apparait. « Je suis désolée pour ce matin. » Étrangement, comme Chuck me l’avait décrite, je ne m’attendais pas à la voir aussi timide. Je lui souris pour la rassurer mais elle ne le voit pas, elle regarde le sol. Elle avance lentement vers moi mais s’arrête à une certaine distance. Même moi, qui n’aime pas sentir mon espace vital envahit par des inconnus, cette distance me gêne. « Tu as l’air fatigué, je ferai mieux d’y aller. » Je dois avouer que je suis exténué et que si je ne luttais pas un peu, je serai déjà en train de dormir comme un bébé mais je ne veux pas qu’elle parte pour autant. Tout ce que Chuck m’a raconté me fait envie. C’est comme si ma vie était tellement parfaite que ça ne pouvait continuer comme ça d’où mon accident. C’est pas du tout rationnel comme idée mais après tout, ce n’est pas non plus si absurde. « Viens. » lui dis-je en lui tendant ma main. Elle relève la tête surprise mais s’avance tout de même timidement jusqu’à s’assoir sur le bord du lit. Elle persiste cependant à ne pas me regarder. Du bout de mes doigts, je soulève doucement son menton et soudain, elle se jette dans mes bras. RaaAAAAAAAAaah ! Elle sait pas faire les choses à moitié, soit elle reste à trois kilomètres, soit elle te colle ! Bordel mes côtes ! Je me mords la lèvre inférieure, inspirant profondément pour ne laisser rien paraître. Je pose ma main dans son dos et on a dû rester un moment comme ça car je me suis endormi.

Un mois a passé depuis l’accident et aucun souvenir ne m’est revenu. Rien, que dalle. Pas même une miette. Je n’arrive pas à me rappeler. On m’a emmené partout, j’ai rencontré absolument toutes les personnes qui pouvaient me rattacher à mon ancienne vie mais non. Ça n’a pas marché. Cela fait un mois que je me réveille tous les matins aux côtés de Brynn mais là pareil, rien. Je ne ressens rien. Ou en tout cas, ce n’est pas suffisant, ce n’est pas ce qu’elle attend. La seule personne qui fait que je survis dans ce monde de fou, c’est Chuck. C’est le seul à m’accepter tel que je suis. Le seul à ne pas chercher à me rappeler ce que j’ai perdu à jamais. J’ai essayé. Oh oui, j’ai essayé vraiment fort. Mais il n’y a rien à faire. Les médecins ont dit que c’était une possibilité. Que peut-être je ne me souviendrai jamais de toutes ces années que j’ai vécu. Et aujourd’hui, je l’ai enfin accepté. Seulement ce n’est pas le cas de tout le monde. Ma famille persévère, Brynn aussi … et je n’en peux plus. Assis au café, ma valise à côté de moi et mon billet d’avion sur la table, j’attends Chuck. Ah bah tiens, le voilà. « Désolé, il y avait du trafic. » me dit-il avant d’assoir en face de moi. On commande deux cafés puis il me regarde avec un air plutôt sérieux. « Tu es sûr de vouloir faire ça ? T’as prévenu Brynn au moins ? » J’acquiesce d’un signe de tête en prenant une gorgée de la boisson fumante que la serveuse vient de nous apporter. « Oui. Enfin, tu vas pas aimer, je lui ai laissé une lettre. » Je vois à son regard que j’ai raison, ça ne lui plait pas. « Tu sais comme moi qu’elle n’aurait pas compris. » Ca au moins, il ne peut pas le nier. Brynn est une grande optimiste et surtout, elle ne supporte pas que les choses ne se passent pas comme prévu. « Donc ça y est, tu pars … tu te rends compte que tu quittes carrément le pays ? Sale traitre va ! » Me lance-t-il en rigolant. Je termine ma tasse de café puis lui souris. « Ouais. Un nouveau départ pour une nouvelle vie. » Chuck explose de rire. « Tu d’viens philosophe, maintenant ! N’importe quoi. » Je ris à mon tour puis regardant l’heure, je décide qu’il est temps pour moi d’y aller. Je me lève et prend mon meilleur ami dans mes bras. « On s’appelle, hein ? » « Bien sûr ! Tu n’crois quand même pas que j’vais t’oublier, c’est pas parce que tu pars que tout est fini entre nous, tu sais. » Un dernier fou rire pour la route et me voilà qui quitte le café avec ma valise. Le Pays de Galles va me manquer mais j’ai besoin de tout recommencer à zéro. Je ne retrouverai jamais la mémoire, il faut accepter cette réalité et aller de l’avant. Le Texas est parfait pour ça. Au moins là-bas, personne ne me connait. Je pourrai enfin être celui que j’ai envie d’être et non celui que tout le monde s’attend à retrouver d’un jour à l’autre. L’ancien Cappie Carmichael n’existe plus.