Pour le dernier dimanche avant mon départ en tournée, les parents ont décidé qu'on devait tous venir manger chez eux. Pas que ça m'ennuie, au contraire. C'est juste que j'ai pas confiance. Déjà parce que mon départ, c'est un sujet que j'évite d'aborder. Sujet sensible s'il en est. Avec Emma qui me pête un cable à chaque fois qu'elle réalise que son assurance-vie habituelle ne sera pas là pour la sauver d'elle-même pendant deux mois. Tout Bing sait qu'Emma est un danger ambulant, et il faut croire que je tiens suffisamment peu à ma vie pour être celui qui cohabite avec elle. Donc voilà, je suis celui qui débarque toujours à temps pour lui éviter de graves mésaventures, et elle s'y est surement un peu trop habitué. Et vu que je vais disparaître du paysage, elle a peur de ne pas y survivre. Je la comprends, en fait, j'ai peur qu'elle n'y survive pas non plus. C'est pas pour rien que j'ai essayé de la convaincre d'aller squatter chez Sara... Ou chez n'importe qui qu'elle connaisse de prêt ou de loin en fait. Oui, j'essaie d'assurer la survie de ma frangine, c'est pas chose facile d'être le plus responsable des Bing. Mais outre le sujet de mon départ et l'insécurité d'Emma, l'invitation de nos parents est simplement dangereuse parce que la réunion d'un trop grand nombre de Bing dans un même lieu est dangereux pour la sécurité des personnes présentes. A part quand je leur ai ramené Sixtine. La seule fois où la famille était au complet et qu'ils ont quand même réussi à être sages comme des images. Aujourd'hui, il n'y a que nous. Personne pour les intimider ou les inciter à se comporter comme des humains normaux.

Mais pourtant, à ma plus grande surprise, le déjeuner s'est passé sans heurts. Papa avait cuisiné son couscous habituel qu'il nous sort quand il n'a pas d'idée particulière et maman s'était occupé du dessert en nous gâtant avec une splendide tarte tatin... Un délice qui n'a même pas été gâché par les quelques remarques d'Emma venant me rappeler que j'allais l'abandonner à une mort certaine. Sans compter les regards appuyer de notre père qui semblait me faire remarquer qu'elle avait raison et les légers coups de coude que sa femme lui donnait comme pour dire "notre fils devient une super star, c'est normal qu'il y ai des bémols!" Non pas que la mort d'Emma soit une chose de peu d'importance, mais je crois que notre mère est persuadée que, laissée à elle-même, Emma trouvera la force de survivre à sa propre folie. Ou quelque chose comme ça. Elle a toujours été très optimiste. Un repas plutôt calme donc, et franchement délicieux. Rien n'est resté trainer dans aucune assiette, et Link s'est resservit quinze fois. Je crois que son frigo est vide en ce moment, il doit faire des réserves. Un jour, j'lui expliquerait que ça ne fonctionne pas franchement comme ça... Mais pour l'instant, il m'amuse à s'empiffrer. Alors je profite de ma famille comme si de rien n'était. Et vous savez quoi? Ils ne m'ont même pas provoqué en me proposant un singstar. Ils auraient pu, pour me rappeler mes médiocres capacités au chant, me faire douter de moi et ainsi m'inciter à rester... Oui, tout ceci aurait pu n'être qu'un piège pour m'inciter à rester. Qui a dit que j'étais trop méfiant? Sûrement quelqu'un qui ne connait rien au Bing. Une fois qu'on les connait, on ne leur fait plus jamais confiance! Nous voilà d'ailleurs enfin seuls dans le salon. Par seuls j'entends sans les parents. Chacun vaque à ses occupations. On est habitué à ne rien faire de particulier ici, on est chez nous après tout. Je lève le nez de mon téléphone après avoir envoyé un message à mon batteur. On part vendredi prochain, alors forcément on est en pleine préparations. Je regarde d'un air méfiant mes frangines et mon frère, la fratrie au complet. « Dites, vous trouvez pas que papa et maman ont été un peu trop calme pendant le déjeuner? Vous avez pas l'impression qu'ils mijotent quelque chose? » Je ne parle pas trop fort, il ne faudrait pas que les intéressés m'entendent. Quoi que s'ils manigancent quelque chose, ils ont surement un infiltré parmi nous. Quelqu'un qui voulait une belle place dans la bataille d'oreiller qui s'annonce... Ou quoi que ce soit. Non, chez les Bing, on ne peut faire confiance à personne! Mais peut-être est-il temps que je me détende et que j'apprenne à faire confiance à nos parents. Ils ont peut-être murit après tant d'années... Ouais, enfin, faudrait voir à pas trop espérer non plus. Quand on est Bing, on est con. Et c'est pour la vie.