Encore une fois, je me retrouvai à courir le plus vite possible jusque dans ma chambre. Cassandra et moi avions, cette fois, concocté un mauvais coup qui mettrait nos parents hors d'eux. De cinq ans mon aînée, elle était un modèle que je suivais avec attention, du haut de mes douze ans. J'espérais un jour pouvoir être entièrement comme elle et être aussi parfaite. Et si cela passait par quelques dérogations à l'ordre de la maison, et bien j'ennuierai moi aussi mes parents.
Nous avions l'habitude d'organiser nos actions de façon à ce que nos parents sortent de leurs gonds, sans pour autant nous punir. Mais à ce moment précis, je doutais que je puisse m'en sortir aussi facilement que d'habitude. Du simple laisser-aller volontaire concernant les tâches ménagères et le rangement, nous étions passées à l'étape supérieure : la destruction. Sur les ordres de Cassandra, j'avais fait tomber le pot de fleur du comptoir de la cuisine, répandant volontairement son contenu terreux sur le sol blanc. Pourquoi ça avait été à moi de le faire, cette fois ? Parce qu'elle disait que ce n'était pas le genre d'une fille de dix-sept ans de le faire. Et elle avait forcément raison, puisqu'elle avait sans doute du faire ça quand elle avait mon âge et qu'Emilia a lancé la lutte contre les parents. A nous trois, nous formions plus le trio d'enfer que la Sainte Trinité, pour le plus grand désespoir de nos parents.
A bout de souffle, je me jetai sur mon lit et attrapai un livre, que je posai rapidement sur mes genoux, les mains tremblantes, le cœur battant à tout rompre. Nos parents étaient dans le jardin, mais il ne faisait nul doute que le bruit de fracas du pot en argile ne manquerait pas de les faire rappliquer à toute vitesse. Lorsqu'ils découvriraient le massacre et que ma mère viendrait frapper à la porte de ma chambre, je devrais avoir l'air le plus naturel possible.

***

" Arrête, on peut pas continuer comme ça. "
Je me dégageai de son étreinte, et m'assis face à lui sur le lit, les jambes en tailleurs, fixant ma couette. Je ne pouvais pas le regarder dans les yeux sans y voir la fin de ma liberté. Cela faisait maintenant un bon moment que je réfléchissais, que j'essayais d'envisager toutes les options nous concernant. Mais il fallait se rendre à l'évidence, je ne serais jamais heureuse avec Brice. Je ne partageais pas sa vision de la vie de couple. Pour moi, il fallait surtout se soutenir, et partager des bons moments ensemble. Or, cela faisait bien trop longtemps que ce stade tranquille et agréable de la relation était terminée.
A partir du moment où on avait officialisé la chose, quelques mois plus tôt, il avait changé de comportement. Du garçon attentif et gentil, il était devenu jaloux et possessif. Je ne pouvais plus parler à quel que garçon que ce soit, ou m'habiller de la façon que je souhaitais, il me faisait souvent des reproches en tout genre. Et je ne savais toujours pas pourquoi je continuais de l'aimer pendant tout ce temps. Cependant, les papillons que je ressentais dans mon ventre à chaque fois que j'étais avec lui avaient fini par voleter ailleurs avec le temps, réduisant leur vol à un infime battement d'ailes. Ce jour là, j'étais reconnaissante qu'ils ne soient qu'éphémères.
Je devais mettre un terme à cette relation qui n'apportait désormais plus rien de bon.
J'inspirai un grand coup et m'obligeai à plonger mon regard dans le sien, espérant que j'arriverai à fixer ses prunelles même lorsque la pression deviendrait trop intense.
" Malgré toutes les fois où on en a parlé, tu n'as pas changé de comportement. Tu sais que j'ai besoin d'espace, de liberté, d'indépendance. Tu as continué de m'étouffer, malgré toutes tes promesses de t'améliorer. Mais aujourd'hui ça ne marche plus, c'est fini. "
Etrangement, je ne me sentais pas mal de rompre avec lui. J'étais neutre, limite soulagée. J'analysai les détails de son visage pour percevoir une réaction, mais il ne semblait pas vraiment comprendre.
" Nous deux, c'est terminé " clarifiai-je pour la dernière fois.
Je me levai, attrapai mon manteau sur la chaise près de la porte de la chambre. La main sur la poignée, je me retournai pour lui lancer un dernier regard, puis je sortis de la chambre, et de sa maison.
Jamais je n'y ai remis les pieds.

***

" Ems, j'en peux plus. Il continue. Tous les jours. Il est même venu jusqu'à la fac aujourd'hui ! "
Loin d'avoir accepté la rupture, Brice lui envoyait toujours des sms. S'il pensait que ses excuses et ses bonnes paroles allaient changer quoi que ce soit, il pouvait se mettre les doigts dans le nez. Ses promesses, j'en avais eu assez. Et ce n'était pas en me harcelant qu'il allait faire renaître la flamme d'un brasier lentement éteint.
" Qu'est-ce que je dois faire ? "
Ma soeur avait toujours été de bon conseil. Elle avait beau avoir quatorze ans de plus que moi, j'étais pourtant bien plus proche d'elle que de Cassandra. Je passai ma main derrière mon crâne pour attraper l'entièreté de ma chevelure et la passer du côté gauche de mon visage, attendant la réponse d'Emilia.
" Tu devrais aller chez Tyler, à Pasadena. Là-bas, au moins, il ne risque pas de continuer à t'ennuyer. "
Partir était sans doute la meilleure solution.