+ onze ans.« Bonjour à tous ! » M’exclamais-je en faisant face à toute ma classe. Aujourd’hui, c’est la journée du père et on doit tous présenter le sien devant les autres élèves de notre classe et raconter ce qu’il fait un peu comme travail. Ensuite, notre papa leur explique en quoi consiste son boulot et ils peuvent poser des questions. Mon père est venu, mais il a quand même fallu que je le lui répète une vingtaine de fois et que je lui en parle trois mois à l’avance, et surtout, que je le note dans son agenda. Et sur plein de post-it que j’ai accroché un peu partout dans la maison. Il ne pouvait pas le manquer ! Je lui en aurai voulu si ça avait été le cas. Heureusement qu’il est venu.
« Comme vous le savez déjà, je m’appelle Edvige Teller. » Je leur adresse un petit salut de la main accompagné d’un sourire. J’ai tout appris de mon père.
« Et aujourd’hui pour cette journée très spéciale, j’ai l’honneur de vous présenter un homme que j’admire. Je l’appelle papa, mais vous le connaitrez sous un nom différent, probablement que vos parents le connaissent déjà (et j’en suis certaine), veuillez accueillir mon père : Howard Teller, Sénateur de notre état, le Texas. » J’applaudis, poussant les autres élèves à me suivre, quand mon père me rejoint au devant de la classe.
« Merci Edvige. » Il m’adresse un clin d’œil.
« Bonjour à tous ! » Et je sais immédiatement à l’intonation de sa voix que ce n’est pas le père qui parle, mais le Sénateur. Je peux déjà remarquer que mon professeur, Miss Watson, est subjuguée par ce qu’il s’apprête à raconter. Quant aux autres pères présents, il est clair qu’ils le connaissent. L’apprécient-ils néanmoins ? Je n’en ai aucune idée. De toute façon papa m’a très bien appris comment on agit. On ne s’occupe pas de savoir si on nous aime ou non, on se contente de sourire et de dire ce qu’ils veulent entendre. Ils peuvent ne pas t’aimer, mais tant que tu leur diras ce qu’ils veulent entendre, ils voteront pour toi. Il a clairement tout compris et ça a fonctionné pour lui puisqu’il est le Sénateur. Mais il ne s’arrête pas là pour autant, il veut le rester. J’ai foi en lui, il est doué dans ce qu’il fait.
« Le métier de Sénateur n’est pas juste une question d’apparence… » Et le voilà qui commence son discours. Moi je reste à côté de lui. Je ne l’écoute pas vraiment, de toute façon c’est quelque chose que j’ai déjà entendu maintes fois. Mais j’ai l’air passionné par ce qu’il dit et je souris. Faire bonne figure, j’ai appris à le faire depuis que je sais marcher. Si déjà moi j’ai trouvé ça pénible, je n’ose imaginer ma mère qui a dû l’apprendre quand elle l’a rencontré. En plus d’apprendre à agir en bonne femme de Sénateur, elle a dû apprendre l’anglais dans le même temps. Mais je crois que son charme exotique a séduit beaucoup de monde et a fait augmenter la côte de popularité de mon père. Ma mère est italienne, elle vient de Firenze – Florence pour les non-italiens – et était venue aux Etats-Unis dans le but de passer quelques vacances avec des amis. C’est ce qu’elle m’a raconté, c’était mon histoire préférée au moment du bedtime. Ainsi donc, elle avait quelques amis américains qui étaient venus passer leurs études en Italie pour apprendre la langue et également pour venir dans cette grande école d’art de Firenze. Ils lui avaient dit qu’elle serait toujours la bienvenue quand elle voudrait. L’un venait de New-York, l’autre d’Austin. Ainsi, quand elle eue vingt-deux ans, elle décida avec trois amis italiennes de s’offrir quelques vacances en Italie. Elles passèrent d’abord une semaine et trois jours à New-York avant d’aller à Austin. C’est là qu’elle a rencontré mon père. Ils sont tombés amoureux… elle est repartie en Italie. Six mois se sont passés sans qu’ils se voient ou n’aient un contact. Il y est allé pour une semaine dans l’espoir de la revoir, il ne l’a jamais trouvé. Quand il est revenu chez lui, tout penaud, elle était là et l’attendait. Enfin elle ne l’attendait pas sur le pied de la porte non plus ! Mais il l’a croisé le lendemain dans sa ville. Elle lui a annoncé qu’elle était arrivée deux jours plus tôt, qu’elle mourrait d’envie de le voir. Ils ont passé deux semaines ensembles sans se quitter. À la fin de ses vacances à elle, ils ne voulaient pas se quitter. Il l’a demandé en mariage. Elle est restée. C’est digne d’un conte de fée ! Et ça n’arrive à quasiment personne. C’est un cas rare. Heureusement pour sa carrière, ils sont réellement tombés amoureux l’un de l’autre. Parce qu’avoir une étrangère qu’on connaît à peine comme épouse… ça fait un peu penser à la green card. Évidemment que je connais ça. Vu le boulot de mon père, je me dois de m’instruire pour savoir de quoi les gens parlent. Et puis je pose beaucoup de questions une fois que nous ne sommes que tous les trois à la maison. Et mon père aime m’apprendre des choses alors il répond presque toujours. Il est rare qu’il me considère trop jeune pour entendre quelque chose. Quand ma mère eut vingt-cinq ans, elle est tombée enceinte de moi et je suis la seule enfant qu’ils ont eu. Fille de Sénateur et fille unique, ça sonne presque cliché. Mais je ne suis pas gâtée, même si je sais que je pourrais avoir des tas de choses, bien souvent ils me répondent non s’ils jugent que je n’en ai pas besoin. Ou alors je dois le mériter. Mon père surtout veut que je travaille impeccablement bien et que je réussisse ma vie. Peu importe ce que je fais, du moment que je fais un travail que j’aime et que je le fasse bien. Il me répète toujours qu’il préfère que je fasse de longues études pour avoir le temps de choisir un métier que j’aime plutôt que de me presser et de faire quelque chose que je n’aime pas. Ma mère ne travaille pas. Enfin disons qu’officiellement elle ne travaille pas. Mais être femme de Sénateur c’est tout un métier ! De plus, elle participe à de nombreuses organisations, d’œuvres de charités, de bénévolat… elle est très active et ne reste jamais une journée à la maison. Sauf le dimanche, parce que c’est sa journée de repos. Mais même le samedi elle bouge. Quoi que souvent le samedi, ses amies viennent à la maison. Elles sont italiennes, parlent fort, mangent, font du grabuge… argh je déteste ça ! Alors soit je m’enferme dans ma chambre, soit je sors. Souvent avec papa on essaye de se sauver en douce. Mais parfois il n’est pas là parce qu’il doit bosser et je me retrouve seule sans défense. Ce n’est pas l’italien qui me dérange, j’aime entendre maman me parler italien. Mais elles font trop de bruit et de bazar ! Mais le pire, c’est quand on va en Italie ou que toute la famille de maman vient nous visiter… on dirait que le pays entier débarque ! Et alors qu’est-ce qu’on mange… c’est bon ! Mais chaque fois ma grand-mère s’exclame que je suis trop maigre et que je dois manger plus. Chaque fois j’ai envie de rétorquer que non, c’est juste elle et tous les cousins qui sont gros, que moi j’ai une taille normale. Mais encore une fois, je suis polie et il s’agit de ma famille alors je me tais. De toute façon, ma mère me dit discrètement de ne manger que ce que je veux. Et puis elle m’a soufflé sa technique : glisser la nourriture sous la table pour la donner au chien de grand-mère. Alors c’est ce que je fais quand je n’ai plus faim. Ça explique pourquoi ce chien est tellement fat. It’s a fat dog.
« Qu’est-ce que ça fait d’être fille de Sénateur ? » Me demande un élève. Je relève la tête distraitement.
« Hm, et bien… qu’est-ce que ça fait d’être le fils d’un bureaucrate ? » Il hausse des épaules.
« Ben… pas grand-chose. » Je souris.
« Presque la même chose. En soit, ce n’est pas grand-chose. Il reste mon père avant tout, me lit des histoires le soir quand je le lui demande, s’occupe de moi quotidiennement, m’emmène voir des matchs de baseball le weekend, m’emmène à la pêche quand on le peut le samedi pour fuir la troupe d’amies italiennes de ma mère. Je dirais qu’il est Sénateur mais qu’il remplit à merveille son deuxième métier : celui de père. Néanmoins, quand vient l’heure d’agir en tant que fille de Sénateur… et bien il faut agir proprement. Ne pas piquer de colère, c’est très important et très mal vu dans le monde politique. Imaginez un homme qui n’est pas capable de gérer son propre enfant, comment pourrait-il gérer tout un état ? » Je pouffe de rire, évidemment je ne ris pas vraiment. Le reste de la classe se met à pouffer aussi discrètement.
« Toujours penser à dire bonjour, enchantée, ravie de discuter avec vous, si vous voulez bien m’excuser je dois maintenant saluer monsieur le maire. C’est relativement facile d’échapper à une conversation que l’on ne veut pas avoir. Il suffit que j’observe mon père pour en apprendre d’avantage. Je dois être impeccablement exemplaire. Je dois aussi apprendre des sujets de conversation qui ne m’intéresse nullement mais je dois être capable de pouvoir répondre à certains adultes. Il y a de bons côtés cependant, certains politiciens – ou femmes de politiciens – me voient juste comme une petite fille bien éduquée et ils agissent avec moi comme on se comporte avec un petit chien : oh qu’elle est adorable ! Je suis alors capable de leur clouer le clapet en leur parlant d’un sujet inconnu pour la plupart des enfants de onze ans. » Je marque une pause. Mon père me regarde avec cet air à la fois fier et amusé.
« Je pense qu’être fille de Sénateur est assez facile en réalité, il faut juste faire prêter attention à ses faits et gestes. De plus, je suis née dans cet univers, c’est donc presque inné pour moi. La question qu’il faut vous poser est : est-il facile pour une femme – ou un mari – de politicien / politicienne de survivre dans ce monde de requins ? La réponse est la suivante : non. Pourquoi ? Et bien je vous propose de poser la question à ma mère. » Je m’arrête, je pense que j’ai bien répondu à la question tout en restant évasive. De toute façon, j’ai tellement parlé que le garçon qui m’a posé la question est totalement perdu. Je regarde mon père avec un petit sourire satisfait, il me sourit en retour. Il semblerait que ce soit terminé.
« Merci d’avoir accueilli mon père, Howard Teller ! » « Merci à tous ! » J’applaudis, ma classe suit le mouvement. Je retourne à ma place tandis que mon père retourne dans le fond de la classe alors que mon professeur s’avance au devant pour remercier tous les pères qui sont venus. Même dans une journée scolaire, au fond, mon père trouve le moyen de faire sa propagande. Il est trop fort !
+ seize ans.Toute la matinée, j’avais entendu parler du nouvel élève. Le nouveau. À croire qu’il n’avait pas de prénom le nouveau. Puisque tout le monde l’appelait le nouveau. Mais on n’en savait pour autant pas plus sur lui. Tout ce que j’avais entendu de lui était des murmures. Des filles qui disaient qu’il était canon, ma foi… je demande à voir. D’autres qui disaient qu’il venait d’ailleurs. Soit… mais où ailleurs ? Et ça m’agaçait, ça m’a vraiment énervé ! J’ai eu envie de leur dire qu’ils s’y prenaient vraiment mal pour démarrer des rumeurs ! Il faut un minimum de consistance pour démarrer une bonne rumeur. C’est exactement la même que de raconter une histoire : on a besoin d’un personnage principal, d’un décor, d’une action. Ce n’est pourtant pas difficile ! Alors comme tout ça m’agaçait et qu’au final je n’ai rien appris, à la pause déjeuner j’ai décidé de tout vérifier par moi-même. Je me suis approchée du délégué des élèves, il ne m’a pas entendu arriver alors il a sursauté.
« Hé ! » Il en a presque renversé son plateau.
« C’est qui le nouveau dont tout le monde parle ? » Il m’a montré un type assis à la table du mec le moins fréquentable de tout le lycée. Enfin disons que c’est une mauvaise graine qui effraie tous ceux qui n’ont pas juste pas assez de cran pour lui dire merde. Il n’est pas tellement dangereux en vérité. De toute façon, ceux qui en disent le plus en font le moins. Je me suis approchée de la table et le caïd m’a jeté un regard mauvais. Regard que je lui ai jeté en retour.
« Un problème dude ? » Il a essayé de maintenir mon regard, mais à croire que le mot sénateur brillait en toutes lettres sur mon front parce qu’il a fini par abandonner, il a pris son plateau et est partit.
« Tu viens de faire fuir mon seul ami. » Le premier truc qui m’a choqué chez le nouveau fut son accent. La seconde chose… ce fut ses yeux. Je me suis assise en face de lui.
« Lui ? Pff, crois-moi j’te sauve la vie. » Et troisième chose : son sourire.
« Je m’appelle Edvige. » Ai-je annoncé en lui tendant la main. Il a semblé un peu surpris mais m’a également serré la main en souriant.
« J’ai entendu parler de toi toouuute la matinée, mais tu ne sembles pas avoir d’autre nom que : le nouveau. Prouve-moi que les rumeurs sont faussement fondées. » Il a rigolé en haussant les sourcils.
« Je m’appelle Simon. » Son accent est vraiment perturbant.
« Tu viens d’où Simon ? » « J’arrive d’Angleterre. » « Ah c’est ça… » Il a affiché une tête évidente.
« L’accent, n’est-ce pas ? » J’ai opiné de la tête.
« C’est très perturbant… » Le voilà surpris maintenant.
« Pourquoi ? » « Et bien… c’est à la fois dérangeant parce que tu as une drôle de façon de prononcer les mots sans compter qu’on dirait que tu les mâches ; mais c’est à la fois très séduisant. » Il y a eu un petit silence pendant lequel il souriait, avant qu’il ne reprenne la parole.
« Es-tu toujours aussi franche ? » J’ai baissé la tête en ramenant une mèche de cheveux derrière mon oreille.
« Je suis désolée… » Il vient juste de me faire remarquer mon principal défaut. J’ai beau essayé de le corriger car mon père me le fait remarquer très souvent, mais je n’y arrive juste pas. Je tiens ça directement de ma mère.
« Ne le sois pas. » Quoi ? Je l’ai regardé et il me souriait. Je me suis sentie terriblement gênée quand j’ai commencé à me perdre dans son beau regard bleu océan. Alors j’ai baissé la tête vers mon repas.
« Il fallait que je te rencontre en personne parce que personne n’était fichu de lancer une bonne rumeur à ton sujet qui en apprendrait un peu sur toi ou au moins qui laisserait s’imaginer des choses. » Il s’est mis à rire.
« Les gens de n’jours, ce n’est plus ce que c’était ! » A-t-il dit sur un ton moqueur. Il a de l’humour en plus ! Il me plait bien lui.
« Non mais c’est vrai ! Pour démarrer une rumeur il faut quelques bases – même inventées – il faut avoir de la substance, de la consistance ! » Ai-je dit en relevant la tête. Il continuait de sourire d’un air amusé.
« Tu sembles t’y connaître en rumeurs ? » J’ai secoué la main.
« Pff, les rumeurs c’est tellement courant dans le monde d’où je viens. » « Et de quel monde viens-tu ? » Je l’ai regardé en penchant légèrement la tête. C’est vrai qu’il l’ignore totalement. Et en réalisant ça, je n’ai pas eu envie de lui dire ce que tout le monde sait déjà, je n’ai pas eu envie d’être la fille du sénateur. J’ai eu envie d’être juste une fille banale. Je me suis contentée de sourire sans lui répondre.
« Tu veux voir comment on démarre une rumeur ? » Il m’a regardé en rigolant.
« Éblouis-moi de ton talent. » Je lui ai offert un petit haussement de sourcil comme si c’était déjà fait. Je me suis levée et me suis assise cinq tables plus loin, que des filles.
Elles m’ont quelque peu dévisagé, se demandant ce que je venais faire à leur table. Il faut savoir que d’ordinaire je ne parle pas avec ce genre de filles, trop midinettes. Premièrement, je me suis toujours plus entendue avec les garçons, deuxièmement je n’ai pas des tas d’amis car j’ai tendance à les pousser au loin. J’ai toujours l’impression qu’ils sont plus attirés par la popularité de mon nom que par ma propre personne. Alors je préfère être seule, je le vis aussi bien. Dernièrement, ma franchise ne m’attire pas des tas d’amis, il faut bien dire la vérité.
« Vous avez entendu parler du nouveau ? » Elles ont hoché la tête.
« J’ai entendu dire qu’il est canon ! » A dit l’une des filles. J’ai hoché la tête. Ça pour l’être…
« Il s’appelle Simon, il est british et je l’ai surpris en train de toucher les fesses de Debbie Hamilton. » Qui est Debbie Hamilton ? Absolument aucune idée ! Mais de toute façon ce n’est pas important, elles vont aller étendre la nouvelle et d’ici demain ce ne sera plus Debbie Hamilton mais Sarah Parkson ou un autre nom.
« Noooo way ! » « Way ! » Et voilà, mission accomplie. Elles ont commencé à parler entre elles d’une façon très agitée. Mon travail ici est terminé. Je me suis levée pour rejoindre le nouveau.
M’asseyant à nouveau en face de lui, je l’ai regardé en souriant.
« Alors ? » Cet accent est toujours aussi perturbant.
« Alors d’ici demain tu seras répertorié comme un tripoteur de fesses. Mais au moins, tout le monde connaitra ton nom. » Il a haussé les sourcils avec un sourire amusé.
« Quoi ? » J’ai encore une fois fait mon petit jeu de sourcils.
« Je t’ai dit que c’était facile. » Il s’est mis à rire.
« C’est vraiment la première fois que je rencontre une fille comme toi. » « Je sais. » Sur ce, j’ai attrapé le sandwich et la pomme de mon plateau, mon sac et je me suis levée.
« À une prochaine fois le nouveau ! » Je n’ai surtout pas attendu de réponse, je me suis contentée de lui adresser un petit clin d’œil avant de partir. J’ai l’infime conviction que je vais très vite le revoir, combien même il n’est pas dans ma classe.
+ dix-sept ans.Je souriais en croisant Simon dans le couloir mais ce n’est pas pour autant que je m’arrêtais pour lui parler. De toute façon, le couloir était bondé de monde et nous avions cours. Encore une fois, nous étions dans des classes différentes. Et tant mieux, je préférais sans fois le croiser au détour d’un couloir que de le voir toute la journée. Ça me donnait encore plus envie de voir son sourire. Je l’entendis me saluer mais au lieu de lui répondre, j’ai simplement accéléré le pas pour disparaître. Maintenant un an qu’il était arrivé, que nous étions amis… Enfin amis. Disons qu’on aime bien se taquiner, s’embêter mutuellement. Certaines filles lui ont déjà demandé de sortir avec lui, mais il a refusé. Maintenant j’entends une rumeur circulant comme quoi il aurait quelqu’un en vu et que ce serait la raison de ces nombreux refus. Ça me fait rire… quand je pense que la toute première rumeur à son sujet était de moi. Je repense à cette fois où pour jouer le jeu de la rumeur, il a délibérément touché les fesses d’une fille qui lui a mis une claque instantanée en retour. C’était tellement drôle ! Je me mets à rire toute seule. La sonne cloche, le couloir se vide, je vais encore être en retard. Une main m’attrape alors par le bras et me tire violemment à l’intérieur d’une petite pièce étroite. Je n’ai pas le temps de crier ou de rétorquer qu’une main se pose sur ma bouche. Où suis-je ? La lumière s’allume. Simon est juste devant moi, une leur malicieuse dans le regard. Je regarde autour de nous. Génial, quoi de mieux que le placard à balais pour un meeting secret. Il retire sa main qu’il pose contre le mur juste à côté de mon visage.
« Le placard à balais, j’en rêvais justement à l’instant, c’est en quelle occasion ? » Dis-je d’un ton ironique. Il m’ignore totalement.
« Depuis quand décides-tu de m’ignorer comme ça quand je te salue ? » Oh il fait référence à dix minutes plus tôt. J’hausse des épaules.
« J’ai trouvé ça amusant. » « Tu es vraiment la fille la plus bizarre que j’ai rencontré. » Encore une fois j’ai haussé des épaules.
« De plus, je ne voulais pas te parler à cause de ton accent. » Après une année passée ici, il a toujours son aussi fort accent anglais.
« Ah mon accent te pose problème ? » « Ça me perturbe. » Il s’est mis à sourire.
« Tant mieux. » A-t-il dit en se rapprochant un peu plus. Nous nous étions déjà retrouvés aussi proches, mais chaque fois je trouvais le moyen de le repousser et de me sauver en rigolant. J’aimais avoir le contrôle de la situation et le rendre dingue. Malheureusement… lui aussi. La raison pour laquelle aussi j’arrive toujours à m’échapper, c’est que je ne veux pas être victime des battements affolants de mon cœur quand il se trouve trop près de moi.
« Tu sais qu’on va être en retard en classe ? » Pas comme si je m’intéressais vraiment à mon cours d’italien… de toute façon j’ai toujours de bonnes notes dans cette classe. Mais tout de même… bon très bien, je me cherche une excuse pour m’enfuir. Il a passé sa main dans mes cheveux. J’ai fermé les yeux, me sentant mal… bizarrement mal. Un mal pas du tout désagréable.
« T’as raison. » Quoi ? J’ai rouvert les yeux. Il s’était reculé et me regardait la porte.
« On devrait y aller. » « Totalement ! » Ai-je dit avec hâte. J’ai ramassé mon sac que j’avais lâché et je me suis précipitée sur la porte. Sauf qu’à ce moment-là, Simon m’a plaqué contre la porte – ce qui m’a vraiment surprise – et il a attrapé mon visage entre ses mains pour m’embrasser. J’ai été tellement surprise que je n’ai pas su quoi faire. J’ai fermé les yeux machinalement et j’ai simplement posé mes mains sur son torse. Je ne m’y attendais vraiment pas… et j’essayais aussi à tout prix d’éviter cette situation. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Et puis pour être honnête… je n’ai jamais embrassé personne avant. Je n’avais pas réellement d’amis, je n’ai jamais eu de copains… Simon s’est alors légèrement détaché mais sans lâcher mon visage, j’ai rouvert les yeux et il a plongé son regard dans le miens. Attend-t-il que je dise quelque chose ?
« On est vraiment en retard maintenant. » Je me suis mordue la lèvre inférieure. Son regard m’électrisant totalement. Il s’est mis à sourire.
« Je le savais. » « Quoi ? Qu’on est en retard ? Pas étonnant je te l’ai déjà dit ! » Mais il n’a pas bronché.
« Non, que tu n’avais jamais embrassé personne avant. » Je me suis sentie horriblement gênée et je me suis sentie rougir.
« Qu… Comment ? Quoi ? » Il a rit.
« Il y a des signes qui ne trompent pas. C’est pour ça qu’à chaque fois tu te sauvais comme une voleuse. Je te plais, je le vois dans ton regard. Et ces nombreuses fois où j’étais à deux doigts de t’embrasser, je sais que tu en avais envie, ton corps te trahissait. Mais tu te sauvais à chaque fois. Je le savais ! » Je le repousse à deux mains en détournant les yeux.
« C’est faux. » Évidemment, il m’a totalement percé à jour.
« Je trouve ça adorable. » J’ai soufflé.
« Quoi ? » « Quand tu essayes de mentir comme ça. » J’ai relevé les yeux en pointant mon index sur son torse.
« Hé ! Je peux être une excellente menteuse si j’le veux ! » « Dans ce cas dis-moi que ce baiser ne t’a rien fait. » Je me suis retrouvée prise au dépourvu. J’ai ouvert la bouche mais aucun son n’en est sortit. Simon ne me quittait pas des yeux en souriant. J’ai encore rougit.
« Je le savais. » A-t-il dit en riant. J’ai bien voulu rétorquer, mais je ne savais pas quoi dire. Il a passé sa main dans mes cheveux derrière ma tête et m’a attiré vers lui.
« Est-ce que tu veux que je t’embrasse ? » Je ne savais plus où me mettre et je devais probablement être toute rouge. C’est une bonne chose que l’éclairage de ce placard est d’une faible qualité.
« Je… hm… » « C’est bien la première fois qu’Edvige Teller est à cours de mots. » J’ai fermé les yeux d’un air défaitiste. C’est vrai, c’est la première fois. Je l’ai entendu rire. Et il m’a embrassé doucement. Voyant que je ne le repoussais pas, il a recommencé, avant de se laisser emporter et de me plaquer contre la porte. Je ne sais pas pourquoi, ni encore moins pourquoi lui, mais il a réveillé quelque chose en moi. J’ai ramené mes mains vers son visage et j’ai répondu à son baiser. Je l’ai sentit sourire.
Et ça aurait pu continuer si la porte ne s’était pas ouverte. J’ai failli tomber à la renverse mais Simon m’a rattrapé. Quand j’ai regardé derrière moi, j’ai vu le concierge faire une drôle de tête. Il faut dire que Simon me tenait collée contre lui. Il a croisé les bras en tapotant ses doigts. Et… on s’est retrouvées à attendre d’être reçu par le directeur. Chacun à un bout de la salle, parce qu’en plus ils ont tenu à nous séparer. Sauf qu’ils pouvaient toujours essayer. J’ai compris au regard que Simon que ce n’était que le début pour nous… Voilà pourquoi je me suis mise à sourire comme une idiote quand le directeur m’a appelé dans son bureau. Je n’ai pas su lui donner d’explications quant à ma conduite. Et quand il m’a dit qu’il appellerait mon père, j’ai simplement haussé des épaules. Je m’en fiche après tout. Je m’en fiche parce que Simon m’aime bien, il m’aime moi. Et je m’en fiche, parce que mon père je peux toujours lui rappeler qu’il a épousé ma mère alors qu’il ne la connaissait que depuis six mois. Et je m’en fiche, parce que ma mère sera de mon côté. C’est une amoureuse de l’amour. Et puis je m’en fiche, parce que j’ai Simon.
+ vingt-et-un ans.« Tu as pris une décision ? » Demandais-je à Simon en m’asseyant juste à côté de lui. Je venais de le rejoindre sur le campus. Il était tranquillement installé dans l’herbe, un livre avec lui, ne prêtant absolument aucune attention à ce qu’il passait autour de lui. Il leva alors la main devant mon visage, l’index en réalité, me faisant signe d’attendre. Et il était visiblement en train de terminer sa page, sensationnel. Même comme ça il était beau. Il l’était tout le temps de toute façon. Il a alors remis en place son marque-page et fermé son livre.
« C’est bon. » Il s’est tourné vers moi en souriant. Ce sourire…
« Hello. » Et cet accent… Depuis toutes ces années passées en Amérique, il n’a pas perdu une pointe d’accent. Il faut dire qu’il prend grand soin de garder son héritage, il me l’a dit. De plus, il retourne assez souvent en Angleterre durant les fêtes de noël ou en été pour ne rien en perdre. Il pose sa main sur ma joue en ne me lâchant pas des yeux. Je ne sais pas comment il fait, mais il a ce don… chaque fois qu’il me touche, il m’électrise. Je ferme les yeux. Et il arrive toujours à me faire oublier ce que je disais. De toute façon, il serait capable de faire ce qu’il veut de moi… Il m’embrasse tendrement. Je frémis. Puis je le repousse et baisse la tête. Il le fait exprès pour éviter cette conversation agaçante, c’est ce qu’il fait depuis un petit moment déjà. C’est vrai que c’est agaçant, cette conversation. Je le regarde en souriant légèrement.
« Simon… ? » Il hausse des sourcils. Bon je sais, pour lui parler sérieusement, il faudrait qu’on se parle dos à dos. Comme ça, je ne le verrais pas et je ne serais pas troublée par ses yeux bleus ou son sourire, ou même ses haussements de sourcils ou tout ce qui le concerne. Mais il y aurait toujours son accent qui affole les battements de mon cœur… Je me mets à rire comme une imbécile et au lieu d’insister, je me lève et m’en vais. Comment pourrais-je même penser à lui parler sérieusement quand la seule pensée qui me traverse l’esprit chaque fois que je le vois est qu’il est diablement séduisant ?! Je rentre dans le premier bâtiment que je croise, je vais aller me trouver quelque chose à faire pour me changer les idées. Pourquoi ne pas bosser un peu ? Je pourrais éventuellement faire ça. Simon m’attrape alors par la main et m’attire contre lui. Je ne l’ai même pas entendu venir. Il pose sa main à l’arrière de ma tête et m’embrasse. Ma réaction ne se fait pas longue, comme toujours, je réponds à son baiser avec ardeur. Il suffit qu’il me touche pour que je perde pied, et cette fois-ci ne déroge pas à la règle. De son autre main, il m’empoigne par la taille, me dépose légèrement contre le mur en se collant contre moi. J’entends alors quelqu’un rire en passant dans le couloir, ce qui me ramène totalement à la réalité. Je le repousse en posant mon front contre son épaule.
« Te rends-tu compte que dans deux ans nous serons gradués ? » Je le regarde en souriant et me mordant la lèvre. Je suis terriblement excitée ! J’ai tellement hâte de pouvoir quitter l’université et de commencer à trouver un véritable boulot. Enfin d’abord, je commencerai en bas de l’échelle. Mais j’ai déjà repéré une bibliothèque. Même si mon père aimerait que je m’essaye à la politique tout comme lui. Il tente encore de me convaincre alors que je lui ai dit maintes fois que ça ne m’intéressait pas. Simon tourne la tête d’un air distrait. « Tu n’es pas excité ? » Le voilà qui hausse des épaules.
« Pas vraiment non. » Il me lâche complètement pour s’appuyer contre le mur d’en face.
« Tu parles sans cesse de ce que tu veux faire après, tu sais déjà exactement ce que tu seras. » Il fixe un point imaginaire à travers la porte vitrée.
« Et tu me demandes sans arrêt si j’ai finalement choisit une matière principale. » « Mais/ » « C’est génial que tu saches exactement ce que tu veux dans ta vie, mais tu ne peux pas me forcer à choisir maintenant. Je ne suis pas prêt. » Je lui souris d’un air rassurant.
« Mais il va bien falloir que tu choisisses un jour. » Finalement il me regarde en pointant l’index.
« C’est ça ! Un jour. Pas maintenant. » C’est n’importe quoi, de plus ce qu’il raconte n’a aucun sens.
« Un jour, pas maintenant, mais quand ? » Il hausse des épaules.
« Je n’en sais rien, de toute façon j’ai le temps, rien ne presse. » Je me mets à rire, nerveusement du moins.
« C’est ridicule ! Le temps n’est qu’une excuse pour ceux qui refusent de prendre une décision ! » Il lève la tête pour ne pas croiser mon regard.
« Simon. » Mais il continue de m’ignorer.
« Pourquoi refuses-tu de prendre une décision ? » Il met les mains dans les poches et fixe ses chaussures.
« Je n’en sais rien… » C’est absurde.
« Chaque fois c’est la même chose, tu ne sais pas ! » Il plonge alors son regard dans le mien, je frémis.
« Tu es consciente que cette conversation est ridicule ? » « C’est toi qui évite le sujet qui est ridicule ! » Il souffle, roule des yeux.
« Tu sais quel est notre problème ? » Mes yeux s’écarquillent.
« Un problème ? Quel problème ? On n’a pas de problème ! Évidemment que tous les couples ont des problèmes mais c’est bon, c’est normal ! » Il roule encore des yeux. Puis il s’avance vers moi en plaquant sa main sur ma bouche. Il se penche vers moi en baissant la voix.
« Tu sais que je t’aime… mais tu passes trop de temps à te soucier de mon avenir, du mien, alors que tu devrais te préoccuper de toi avant tout. » J’ouvre de grands yeux en me dégageant de sa main.
« Qu’est-ce que tu insinues ? » « Je pense qu’il serait préférable de… » « Non ! » « Attends tu ne sais même pas ce que je vais dire. » Je me bouche les oreilles et ferme les yeux.
« Si tu vas dire qu’on devrait se séparer pour que chacun suive sa voie sans gêner l’autre ou je ne sais quoi, c’est absolument hors de question, je refuse de te perdre, je ne veux pas te perdre ! » Il attrape mes mains et me prend simplement dans ses bras.
« Tu ne me perdras pas. » Il parle de cette voix douce qui me calme toujours.
« Je serai toujours là. » J’enfouis mon visage dans le creux de son épaule, sentant les larmes me monter aux yeux. Je n’arrive pas à croire qu’il est train de briser notre couple simplement parce que nous avons des différents concernant notre futur.
« C’est pour toi que je fais ça… » Je relève la tête en reniflant.
« Non tu mens, si vraiment tu voulais faire quelque chose pour moi, tu te choisirais un degré et pas de rompre avec moi ! » Il sourit calmement et secoue la tête.
« Tu vois… c’est à cause de ça. » Les larmes me brûlent les joues.
« Ne pleure pas. » Il me serre un peu plus dans ses bras.
« Je veux pas te perdre… » « Tu ne me perds pas, nous resterons amis. » En reniflant je le regarde.
« Tu le penses vraiment, on peut être amis ? » Il m’adresse un sourire rassurant.
« Non… mais je ferai des efforts pour n’être qu’un ami. » J’enfouis à nouveau mon visage dans son épaule en me laissant aller à mes pleurs. J’ai entendu parler de toutes sortes de rupture… mais rompre parce qu’on s’aime trop et qu’on ne veut pas entraver nos propres futurs… je n’arrive pas à y croire ! Je ne veux pas y croire. Je passe mes bras autour de sa taille.
« Promets-moi qu’on ne se quittera jamais ! Même… même si c’est juste une question d’amitié… que jamais on se quittera ! » « Je te le promets. » Et il m’a embrassé sur la tête.